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LE PEUPLE


taire, même privilégié, qui les emploie, est obligé de prendre à son compte une partie de leur cote ; sinon, n’ayant pas de quoi manger, ils ne travailleraient plus[1] ; même dans l’intérêt du maître, il faut à l’homme sa ration de pain, comme au bœuf sa ration de foin. « En Bretagne[2], c’est une vérité notoire que les neuf dixièmes des artisans, quoique mal nourris, mal vêtus, n’ont pas à la fin de l’année un écu libre de dettes ; » la capitation et le reste leur enlèvent cet unique et dernier écu. À Paris[3], « le cendrier, le marchand de bouteilles cassées, le gratte-ruisseau, le crieur de vieilles ferrailles et de vieux chapeaux », dès qu’ils ont un gîte, payent la capitation, trois livres dix sous par tête. Pour qu’ils n’oublient pas de la payer, le locataire qui leur sous-loue est responsable. De plus, en cas de retard, on leur envoie un « homme bleu, » un garnisaire, dont ils payent la journée et qui prend domicile dans leur logis. Mercier cite un ouvrier, nommé Quatre-main, ayant quatre petits enfants, logé au sixième, où il avait arrangé une cheminée en manière d’alcôve pour se coucher lui et sa famille. « Un jour, j’ouvris sa porte, qui n’avait qu’un loquet ; la chambre n’offrait que la muraille et un étau ; cet homme, en sortant de dessous sa cheminée, à moitié malade, me dit : « Je croyais que c’était garnison pour la capitation ». — Ainsi, quelle que soit la condition du taillable, si dégarni

  1. Turgot, II, 259.
  2. Archives nationales, H, 426. (Remontrances du Parlement de Bretagne, février 1783.)
  3. Mercier, XI, 59 ; X, 262.