Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
LE PEUPLE


« comparer qu’à des tranchées dans un tas de fumier. » Dans les auberges des gros bourgs, « étroitesse, misère, saleté, ténèbres ». Celle de Pradelles est « l’une des pires de France ». Celle d’Aubenas, dit Young, « serait le purgatoire d’un de mes pourceaux ». En effet, les sens sont bouchés : l’homme primitif est content dès qu’il peut dormir et se repaître. Il se repaît, mais de quelle nourriture ! Pour supporter cette pâtée indigeste, il faut ici au paysan un estomac plus coriace encore qu’en Limousin ; dans tel village où, dix ans plus tard, on tuera chaque année vingt-cinq porcs, on n’en mange que deux ou trois par an[1]. — Quand on contemple la rudesse de ce tempérament intact depuis Vercingétorix et, de plus, effarouché par la souffrance, on ne peut se défendre de quelque effroi. Le marquis de Mirabeau décrit « la fête votive du Mont-Dore, les sauvages descendant en torrents de la montagne[2], le curé avec étole et surplis, la justice en perruque, la maréchaussée, le sabre à la main, gardant la place avant de permettre aux musettes de commencer ; la danse interrompue un quart d’heure après par la bataille ; les cris et les sifflements des enfants, des débiles et autres assistants, les agaçant comme fait la canaille quand les chiens se battent ; des hommes affreux, ou plutôt des bêtes fauves, couverts de sayons de grosse laine, avec de larges ceintures de cuir piquées de clous de cuivre, d’une taille gigantesque rehaussée par de

  1. La Fayette, Mémoires, V, 533.
  2. Lucas de Montigny, ibid. (Lettre du 18 août 1777.)