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L’ANCIEN RÉGIME


« sont en grande partie réduits à mendier leur pain dans la saison morte ». Ailleurs, les ouvriers, journaliers et manœuvres ayant été obligés de vendre leurs effets et leurs meubles, plusieurs sont morts de froid ; la nourriture insuffisante et malsaine a répandu des maladies, et dans deux élections on en compte trente-cinq mille à l’aumône[1]. Dans un canton reculé, les paysans coupent les blés encore verts et les font sécher au four, parce que leur faim ne peut attendre. L’intendant de Poitiers écrit que, « dès que les ateliers de charité sont ouverts, il s’y précipite un nombre prodigieux de pauvres, quelque soin qu’on ait pris pour réduire les prix et n’admettre à ce travail que les plus nécessiteux ». L’intendant de Bourges marque qu’un grand nombre de métayers ont vendu leurs meubles, que « des familles entières ont passé deux jours sans manger », que, dans plusieurs paroisses, les affamés restent au lit la plus grande partie du jour pour souffrir moins. L’intendant d’Orléans annonce « qu’en Sologne de pauvres veuves ont brûlé leurs bois de lit, d’autres leurs arbres fruitiers », pour se préserver du froid et il ajoute : « Rien n’est exagéré dans ce tableau, le cri du besoin ne peut se rendre, il faut voir de près la misère des campagnes pour s’en faire une idée. »

  1. Archives nationales. Lettres de M. de Crosne, intendant de Rouen (17 février 1784) ; de M. de Blossac, intendant de Poitiers (9 mai 1784) ; de M. de Villeneuve, intendant de Bourges (28 mars 1784) ; de M. de Cypierre, intendant d’Orléans (28 mai 1784), de M. de Mazirot, intendant de Moulins (28 juin 1786) de M. de Pont, intendant de Moulins (10 novembre 1779), etc.