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L’ANCIEN RÉGIME


« pagne, à dix lieues de Paris, je retrouve le spectacle de la misère et des plaintes continuelles bien redoublées ; qu’est-ce donc dans nos misérables provinces de l’intérieur du royaume ?… Mon curé m’a dit que huit familles, qui vivaient de leur travail avant mon départ, mendient aujourd’hui leur pain. On ne trouve point à travailler. Les gens riches se retranchent à proportion comme les pauvres. Avec cela on lève la taille avec une rigueur plus que militaire. Les collecteurs, avec les huissiers, suivis de serruriers, ouvrent les portes, enlèvent les meubles et vendent tout pour le quart de ce qu’il vaut, et les frais surpassent la taille… » — « Je me trouve en ce moment en Touraine, dans mes terres. Je n’y vois qu’une misère effroyable ; ce n’est plus le sentiment triste de la misère, c’est le désespoir qui possède les pauvres habitants : ils ne souhaitent que la mort et évitent de peupler… On compte que par an le quart des journées des journaliers va aux corvées, où il faut qu’ils se nourrissent : et de quoi ?… Je vois les pauvres gens y périr de misère. On leur paye quinze sous ce qui vaut un écu pour leur voiture. On ne voit que villages ruinés ou abattus, et nulles maisons qui se relèvent… Par ce que m’ont dit mes voisins, la diminution des habitants va à plus du tiers… Les journaliers prennent tous le parti d’aller se réfugier dans les petites villes. Il y a quantité de villages où tout le monde abandonne le lieu. J’ai plusieurs de mes paroisses où l’on

    28 octobre, 28 décembre 1750, 16 juin, 22 décembre 1751, etc.