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L’ANCIEN RÉGIME


de Clermont-Ferrant, écrit à Fleury : « Le peuple de nos campagnes vit dans une misère affreuse, sans lits, sans meubles ; la plupart même, la moitié de l’année, manquent du pain d’orge et d’avoine qui fait leur unique nourriture et qu’ils sont obligés d’arracher de leur bouche et de celle de leurs enfants pour payer les impositions. J’ai la douleur, chaque année, de voir ce triste spectacle devant mes yeux, dans mes visites. C’est à ce point que les nègres de nos îles sont infiniment plus heureux ; car, en travaillant, ils sont nourris et habillés, avec leurs femmes et leurs enfants ; au lieu que nos paysans, les plus laborieux du royaume, ne peuvent, avec le travail le plus dur et le plus opiniâtre, avoir du pain pour eux et leur famille, et payer les subsides. » En 1740[1], à Lille, à propos de la sortie des grains, le peuple se révolte. « Un intendant m’écrit que la misère augmente d’heure en heure ; le moindre risque pour la récolte fait cet effet depuis trois ans… La Flandre est surtout bien embarrassée ; on n’a pas de quoi attendre la récolte, qui ne sera que dans deux mois d’ici. Les meilleures provinces ne sont pas en état d’en fournir aux autres. Dans chaque ville, on oblige chaque bourgeois à nourrir un ou deux pauvres et à lui donner quatorze livres de pain par semaine. Dans la seule petite ville de Châtellerault (qui est de quatre mille habitants), il y avait dix-huit cents pauvres cet hiver sur ce pied-

  1. Marquis d’Argenson, 1710, 28 mai, 7 et 21 août, 19 et 24 septembre, 7 novembre.