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L’ANCIEN RÉGIME


« seaux, réparaient-ils ses routes, vêtaient-ils ses soldats, ils restaient sans garanties de leurs avances, sans échéances pour le remboursement, réduits à calculer les chances d’un contrat avec les ministres comme celles d’un prêt fait à la grosse aventure. » On ne paye que si l’on peut et quand on peut, même les gens de la maison, les fournisseurs de la table, les serviteurs de la personne. En 1753, les domestiques de Louis XV n’avaient rien reçu depuis trois années. On a vu que ses palefreniers allaient mendier pendant la nuit dans les rues de Versailles, que ses pourvoyeurs « se cachaient », que, sous Louis XVI, en 1778, il était dû 792 620 francs au marchand de vin, et 3 467 980 francs au fournisseur de poisson et de viande[1]. En 1788, la détresse est telle, que le ministre de Loménie prend et dépense les fonds d’une souscription faite par des particuliers pour les hospices ; au moment où il se retire, le Trésor est vide, sauf quatre cent mille francs dont il met la moitié dans sa poche. Quelle administration ! — Devant ce débiteur qui manifestement devient insolvable, tous les gens qui, de près ou de loin, sont engagés dans ses affaires, se consultent avec alarme, et ils sont innombrables, banquiers, négociants, fabricants, employés, prêteurs de toute espèce et de tout degré : au premier rang les rentiers, qui ont mis chez lui tout leur avoir en viager et qui seront à l’aumône s’il ne leur paye pas chaque année les 44 millions qu’il leur doit, les

  1. Marquis d’Argenson. 12 avril 1752, 11 février 1753, 24 juillet 1753, 7 décembre 1753. — Archives nationales, 01, 738.