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L’ANCIEN RÉGIME


bution des charges et des places, « l’égalité commençait à régner dans les sociétés. En beaucoup d’occasions, les titres littéraires avaient la préférence sur les titres de noblesse. Les courtisans, serviteurs de la mode, venaient faire la cour à Marmontel, à d’Alembert, à Raynal. On voyait fréquemment dans le monde des hommes de lettres du deuxième et troisième rang être accueillis et traités avec des égards que n’obtenaient pas les nobles de province… Les institutions restaient monarchiques, mais les mœurs devenaient républicaines. Nous préférions un mot d’éloge de d’Alembert, de Diderot, à la faveur la plus signalée d’un prince… Il était impossible de passer la soirée chez d’Alembert, d’aller à l’hôtel de La Rochefoucauld chez les amis de Turgot, d’assister au déjeuner de l’abbé Raynal, d’être admis dans la société et la famille de M. de Malesherbes, enfin d’approcher de la reine la plus aimable et du roi le plus vertueux, sans croire que nous entrions dans une sorte d’âge d’or dont les siècles précédents ne nous donnaient aucune idée… Nous étions éblouis par le prisme des idées et des doctrines nouvelles, rayonnants d’espérance, brûlants d’ardeur pour toutes les gloires, d’enthousiasme pour tous les talents et bercés des rêves séduisants d’une philosophie qui voulait assurer le bonheur du genre humain. Loin de prévoir des mal-

    siasme Brutus, tragédie de Voltaire, et particulièrement ces deux vers :

    Je suis fils de Brutus et je porte en mon cœur
    La liberté gravée et les rois en horreur. »