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L’ANCIEN RÉGIME


parut une révélation et qui, à ce titre, prétendit au gouvernement des choses humaines. Aux approches de 1789, il est admis qu’on vit « dans le siècle des lumières », dans « l’âge de la raison », qu’auparavant le genre humain était dans l’enfance, qu’aujourd’hui il est devenu « majeur ». Enfin la vérité s’est manifestée et, pour la première fois, on va voir son règne sur la terre. Son droit est suprême, puisqu’elle est la vérité. Elle doit commander à tous, car, par nature, elle est universelle. Par ces deux croyances, la philosophie du dix-huitième siècle ressemble à une religion, au puritanisme du dix-septième, au mahométisme du septième. Même élan de foi, d’espérance et d’enthousiasme, même esprit de propagande et de domination, même raideur et même intolérance, même ambition de refondre l’homme et de modeler toute la vie humaine d’après un type préconçu. La doctrine nouvelle aura aussi ses docteurs, ses dogmes, son catéchisme populaire, ses fanatiques, ses inquisiteurs et ses martyrs. Elle parlera aussi haut que les précédentes, en souveraine légitime à qui la dictature appartient de naissance, et contre laquelle toute révolte est un crime ou une folie. Mais elle diffère des précédentes en ce qu’elle s’impose au nom de la raison, au lieu de s’imposer au nom de Dieu.

En effet, l’autorité était nouvelle. Jusqu’alors, dans le gouvernement des actions et des opinions humaines, la raison n’avait eu qu’une part subordonnée et petite. Le ressort et la direction venaient d’ailleurs ; la croyance et l’obéissance étaient des héritages ; un homme était chré-