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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« et beaux-esprits. » Dans le cabinet d’une dame à la mode, on trouve, à côté d’un petit autel dédié à la Bienfaisance ou à l’Amitié, un dictionnaire d’histoire naturelle, des traités de physique et de chimie. Une femme ne se fait plus peindre en déesse sur un nuage, mais dans un laboratoire, assise parmi des équerres et des télescopes[1]. La marquise de Nesle, la comtesse de Brancas, la comtesse de Pons, la marquise de Polignac sont chez Rouelle lorsqu’il entreprend de fondre et de volatiliser le diamant. Des sociétés de vingt et vingt-cinq personnes se forment dans les salons, pour suivre un cours de physique ou de chimie appliquée, de minéralogie ou de botanique. À la séance publique de l’Académie des Inscriptions, les femmes du monde applaudissent des dissertations sur le bœuf Apis, sur le rapport des langues égyptienne, phénicienne et grecque. Enfin, en 1786, elles se font ouvrir les portes du Collège de France. Rien ne les rebute. Plusieurs manient la lancette et même le scalpel ; la marquise de Voyer voit disséquer, et la jeune comtesse de Coigny dissèque de ses propres mains. — Sur ce fondement qui est celui de la philosophie régnante, l’incrédulité mondaine prend un nouveau point d’appui. Vers la fin du siècle[2] « on voit de jeunes personnes, qui sont dans le monde depuis six ou sept ans, se piquer ouvertement d’irréligion, croyant que l’impiété tient lieu d’esprit, et

  1. E. et J. de Goncourt, la Femme au dix-huitième siècle, 371-373 — Bachaumont, I. 224 (13 avril 1763).
  2. Mme de Genlis, Adèle et Théodore. II. 326.