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L’ANCIEN RÉGIME


grande aux mains d’une philosophie qui proclame la souveraineté de la raison. Car ce qui est contraire à la raison est absurde, partant ridicule. Sitôt qu’un geste adroit a fait brusquement tomber le masque héréditaire et solennel qui couvrait une sottise, nous éprouvons cette étrange convulsion qui écarte les deux coins de la bouche et qui secoue violemment la poitrine, en nous donnant le sentiment d’une détente soudaine, d’une délivrance inattendue, d’une supériorité reconquise, d’une vengeance accomplie et d’une justice faite. Mais, selon la façon dont le masque est ôté, le rire peut être tour à tour léger ou bruyant, contenu ou déboutonné, tantôt aimable et gai, tantôt amer et sardonique. La plaisanterie comporte toutes les nuances, depuis la bouffonnerie jusqu’à l’indignation ; il n’y a point d’assaisonnement littéraire qui fournisse tant de variétés et de mixtures, ni qui se combine si bien avec le précédent. — Les deux ensemble ont été, dès le moyen âge, les principaux ingrédients dont la cuisine française a composé ses plus agréables friandises, fabliaux, contes, bons mots, gaudrioles et malices, héritage éternel d’une race grivoise et narquoise, que La Fontaine a conservé à travers la pompe et le sérieux du dix-septième siècle, et qui, au dix-huitième siècle, reparaît partout dans le festin philosophique. Devant cette table si bien servie, l’attrait est vif pour la brillante société dont la grande affaire est le plaisir et l’amusement. Il est d’autant plus vif que, cette fois, la disposition passagère est d’accord avec l’instinct héréditaire, et que le goût de l’époque vient fortifier le