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LE DÉFAUT ET LES EFFETS DU SYSTÈME


ne s’est pas proposé de restituer la société locale à ses membres, de la ranimer, de faire d’elle un corps vivant, capable de mouvement spontané, coordonné, volontaire, et, à cet effet, muni des organes indispensables ; il n’a pas même pris la peine de se la figurer mentalement, telle qu’elle est effectivement, je veux dire complexe et diverse. À l’inverse de ses prédécesseurs avant 1789 en France, au rebours de tous les législateurs avant et après 1789 hors de France, contre tous les enseignements de l’expérience, contre l’évidence même des choses, il a refusé de constater qu’en France il y a au moins deux espèces d’hommes, ceux de la ville et ceux de la campagne, partant deux types de société locale, la commune urbaine et la commune rurale ; il n’a pas voulu tenir compte de cette différence capitale : il a statué pour le Français en général, pour le citoyen en soi, pour des hommes fictifs, si réduits que nulle part le statut qui leur convient ne peut convenir à des hommes réels et complets. D’un seul coup, les ciseaux législatifs ont, sur un seul patron, découpé, dans la même étoffe, trente-six mille exemplaires du même habit, le même habit indifféremment pour toute commune, quelle que fût sa taille, un habit trop étroit pour la cité et trop large pour le village, dans les deux cas disproportionné et d’avance hors de service, parce qu’il ne s’adaptait ni aux corps très grands ni aux corps très petits. Mais, une fois expédié de Paris, il a fallu l’endosser, vivre dedans ; on y a vécu tant bien que mal, comme on a pu, chacun dans le sien, faute d’un autre