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LE DÉFAUT ET LES EFFETS DU SYSTÈME


appartient, il installe à demeure un équipage étranger, seul commandant et agissant, alors l’homme des barques, réduit à l’humble condition de simple administré et de contribuable passif, ne se sent plus chez lui, mais chez autrui ; puisque les intrus ont toute l’autorité, qu’ils prennent toute la peine ; la manœuvre les regarde, et non pas lui ; il y assiste en spectateur, il n’a ni l’envie ni l’idée d’y donner son coup de main ; il se croise les bras, demeure oisif et devient critique. — Contre le premier défaut, le nouveau régime est en garde : plus de préférés ni de disgraciés, plus de faveurs ni de passe-droits, plus d’exemptions ni d’exclusions, plus de malversations, grattages et voleries, non seulement dans l’État, mais ailleurs et partout, au département, à la commune, dans l’Église, dans les instituts d’éducation et de bienfaisance : il excelle à pratiquer la justice distributive. Le second défaut est son vice intime ; introduit par le législateur dans tous les statuts locaux et spéciaux, il a des effets différents selon les sociétés différentes ; mais tous ces effets convergent pour paralyser dans la nation la meilleure moitié de l’âme, bien pis, pour dévoyer la volonté et pervertir l’esprit public, pour transformer les impulsions généreuses en secousses malfaisantes, pour instituer à demeure l’inertie, l’ennui, le mécontentement, la discorde, la faiblesse et la stérilité.