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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


demeure toujours intacte, exempte d’arrière-pensée et au-dessus du soupçon. Partout ailleurs, on entend ou l’on pressent des craquements, des bruits sinistres ; d’en haut, l’alarme descend, se propage dans l’armée et retentit jusque dans les derniers rangs. En 1815, le soldat a toujours pleine confiance en lui-même et en Napoléon ; « mais il est ombrageux, déliant avec ses autres chefs… Tout mouvement qu’il ne comprend pas l’inquiète ; il se croit trahi[1]. » À Waterloo, des dragons qui passent, sabre en main, de vieux caporaux, crient à l’Empereur que Soult, Vandamme, qui en ce moment même sont en train de se battre, haranguent leur troupe contre lui ou désertent ; que le général d’Hénin, qui a repoussé une charge, et dont la cuisse est fracassée par un boulet, vient de passer à l’ennemi. Le mécanisme qui, depuis quinze ans, jouait si bien, s’est déconcerté de lui-même, par son propre jeu ; ses louages engrenés se désarticulent ; dans leur métal, qui semblait solide, une fêlure s’est déclarée : les divinations de l’instinct populaire la constatent ; les exagérations de l’imagination populaire l’élargissent, et subitement toute la machine s’effondre. — C’est que Napoléon y a introduit, comme moteur central, comme universel ressort, le besoin de parvenir, l’émulation effrénée, l’ambition sans scrupules, bref l’égoïsme tout cru, en premier lieu son propre égoïsme, et que ce ressort, tendu à l’excès[2], détraque, puis démolit sa machine.

  1. Mémorial, 26 août 1816.
  2. Travels in France during the years 1814 and 1815. (Edin-