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LE RÉGIME MODERNE


engageait des artilleurs, des cavaliers ou des fantassins, après marchandage, à peu près comme on y engage des balayeurs, des paveurs ou des égoutiers.

Contre cette pratique et ce principe, la théorie du Contrat social a prévalu : on a déclaré le peuple souverain. Or, dans cette Europe divisée, où les États rivaux sont toujours proches d’un conflit, tous les souverains sont militaires ; ils le sont de naissance, par éducation et profession, par nécessité ; le titre comporte et entraîne la fonction. Par suite, en s’arrogeant leurs droits, le sujet s’impose leurs devoirs ; à son tour, pour sa quote-part, il est souverain ; mais, à son tour et de sa personne, il est militaire[1]. Dorénavant, s’il naît électeur, il naît conscrit : il a contracté une obligation d’espèce nouvelle et de portée indéfinie ; l’État, qui auparavant n’avait de créance que sur ses biens, en a maintenant sur ses membres. Or jamais un créancier ne laisse chômer ses créances, et l’État trouve toujours des raisons ou des prétextes pour faire valoir les siennes. Sous les menaces ou les souffrances de l’invasion, le peuple a consenti d’abord à payer celle-ci : il la croyait

  1. Le principe a été posé tout de suite par les Jacobins. — Yung, Dubois de Crancé, 19, 22, 145 (Discours de Dubois de Crancé dans la séance du 12 décembre 1789) : « Tout citoyen deviendra soldat de la Constitution. » Plus de tirage au sort, ni de remplacement. « Tout citoyen doit être soldat, et tout soldat citoyen. » — Le principe est appliqué pour la première fois par l’appel de 300 000 hommes (26 février 1793), puis par la levée en masse (octobre 1793) qui amène sous les drapeaux 500 000 soldats, volontaires de nom, mais conscrits de fait. (Baron Poisson, l’Armée et la Garde nationale, III, 475.)