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LE RÉGIME MODERNE


seul impôt indirect, la gabelle, lui restitue encore douze autres journées, en tout de un à deux mois pleins chaque année, pendant lesquels il n’est plus, comme autrefois, un corvéable faisant sa corvée, mais le libre propriétaire, le maître absolu de son temps et de ses bras. — Du même coup, par la refonte des autres taxes et grâce au prix croissant de la main-d’œuvre, ses privations physiques deviennent moindres. Il n’en est plus réduit à ne consommer que le rebut de sa récolte, le blé inférieur, le seigle avarié, la farine mal blutée et mélangée de son, ni à se faire une boisson avec de l’eau versée sur les marcs de sa vendange, ni à vendre son porc avant Noël, parce que le sel dont il faudrait le saler est trop cher[1]. Il sale son porc, il le mange, et aussi de la viande de boucherie ; il met le pot-au-feu le dimanche ; il boit du vin ; son pain est plus nutritif, moins noir et plus sain ; il n’en manque plus, il ne craint plus d’en manquer. Jadis il avait pour hôte un fantôme lugubre, la fatale figure qui, depuis des siècles, hantait ses jours et ses nuits, la famine, presque périodique sous la monarchie, la famine, chronique, puis aiguë et atroce, pendant la Révolution, la famine, qui, sous la République, en trois ans, a détruit plus d’un million de vies[2].

  1. Lafayette, Mémoires (Lettre du 17 octobre 1799. et notes recueillies en Auvergne, août 1800) : « Vous savez combien il y avait de mendiants, de gens mourant de faim dans votre pays ; on n’en voit plus : les paysans sont plus riches, les terres mieux cultivées, les femmes mieux vêtues. » — L’Ancien Régime, tome II, 219, 220, 225. — La Révolution, tome VIII, 237, 297.
  2. L’Ancien Régime, tome II, 218. — La Révolution, tome VIII, 319 et suivantes (note).