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LE RÉGIME MODERNE


vin ou même son eau-de-vie, sans payer de ce chef un sou d’impôt[1]. — Par suite, la consommation augmente, et, comme il n’y a plus de provinces exemptes ou demi exemptes, plus de franc-salé, plus de privilèges attachés à la naissance, à la condition, à la profession, ou à la résidence, le Trésor, avec des droits moindres, perçoit ou gagne autant qu’avant la Révolution : en 1809 et 1810, 20 millions sur le tabac, 54 millions sur le sel, 100 millions sur les boissons ; puis, à mesure que le contribuable devient plus riche et plus dépensier, des sommes de plus en plus grosses : en 1884, 305 millions sur le tabac ; en 1885, 429 millions sur les boissons[2], sans compter une centaine d’autres millions levés encore sur les boissons par l’octroi des villes. — Enfin, avec une prudence extrême, le fisc se dérobe et parvient presque à épargner au contribuable la présence et le contact de ses agents. Plus d’inquisition domestique. Le gabelou ne fond plus à l’improviste chez la ménagère, pour goûter la saumure, vérifier que le jambon n’est point salé avec du faux sel, constater que tout le sel du devoir a bien été employé « pour pot et salière ». Le rat de cave ne fait plus irruption chez le vigneron ou même chez le bourgeois, pour jauger ses tonneaux, pour lui demander compte de sa consommation, pour dresser procès-verbal en cas de « gros manquant ou de trop bu », pour le mettre à l’amende si, par charité, il a donné une bouteille de vin à un malade ou à un pauvre.

  1. Décrets du 25 novembre 1808 et du 8 décembre 1814.
  2. Stourm, I, 360, 389. — A. de Foville, 382, 385, 398.