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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


juges[1]. Tant qu’il n’a pas enfreint la loi, il s’endort le soir avec la certitude de s’éveiller libre le lendemain, et il s’éveille le matin avec la certitude de faire tout le long de la journée ce qui lui conviendra, avec la faculté de travailler, acheter, vendre, dépenser, s’amuser[2], aller et venir à sa guise, notamment avec la faculté d’aller à la messe, et aussi de n’y point aller si cela lui plaît mieux. Plus de jacqueries rurales ou urbaines, plus de proscriptions, de persécutions, de spoliations légales ou illégales, plus de guerre intestine et sociale à coups de piques ou à coups de décrets, plus de conquête et d’exploitation des Français les uns par les autres. Avec un soulagement universel et inexprimable, ils sortent du régime anarchique et barbare qui les réduisait à vivre au jour le jour, et ils rentrent dans le régime pacifique et régulier qui leur permet de compter sur le lendemain, partant d’y pourvoir. Après dix ans d’une

    sont accoutumés depuis si longtemps à être vexés et dépouillés, à être traités comme les habitants d’une ville rebelle ou d’une colonie, que le pouvoir arbitraire ne les effraie pas, et qu’ils demandent seulement qu’on mette leurs vies et leurs propriétés à l’abri des tueurs et des pillards et que leur sort soit toujours confié à des mains sûres et impartiales. »

  1. Rœderer, III, 481 (Rapport sur la sénatorerie de Caen, 2 germinal an XIII). — Faber, Notice sur l’intérieur de la France (1807), 110, 112 : « La justice est un des beaux côtés de la France actuelle ; elle est coûteuse, mais on ne peut pas l’appeler vénale. »
  2. Rocquain, ib., 190 (Rapport de Français de Nantes sur la 8e division militaire) : « Depuis plus de dix-huit mois, il règne dans les villes un calme égal à celui dont on jouissait avant la Révolution. La société et les bals ont repris dans les villes, et les antiques danses de la Provence, suspendues pendant dix ans, égaient aujourd’hui les campagnes. »