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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


cause avec eux de leurs affaires, du soin de leur bétail, prend part à des accidents et à des malheurs qui lui portent aussi préjudice. Il va aux noces de leurs enfants et boit avec les convives. Le dimanche on danse dans la cour du château, et les dames se mettent de la partie[1]. » Quand il chasse le loup et le sanglier, le curé en fait l’annonce au prône ; les paysans avec leur fusil viennent joyeusement au rendez-vous, trouvent le seigneur qui les poste, observent strictement la consigne qu’il leur donne : voilà des soldats et un capitaine tout préparés. Un peu plus tard et d’eux-mêmes, ils vont le choisir pour commandant de la garde nationale, pour maire de la commune, pour chef de l’insurrection, et, en 1792, les tireurs de la paroisse marcheront sous lui contre les bleus, comme aujourd’hui contre le loup. — Tels sont les derniers restes du bon esprit féodal, semblables aux sommets épars d’un continent submergé. Avant Louis XIV, le spectacle était pareil dans toute la France. « La noblesse campagnarde d’autrefois, dit le marquis de Mirabeau, buvait trop longtemps, dormait sur de vieux fauteuils ou grabats, montait à cheval, allait à la chasse de grand matin, se rassemblait à la Saint-Hubert et ne se quittait qu’après l’octave de la Saint-Martin… Cette noblesse menait une vie gaie et dure, volontairement, coûtait peu de chose à l’État, et lui produisait plus par sa

  1. Mme de la Rochejaquelein, ib., I, 84. « Comme M. de Marigny avait quelques connaissances de l’art vétérinaire, les paysans du canton venaient le chercher quand ils avaient des bestiaux malades. »
  anc. rég. i.
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