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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ.


se battre et défendre les autres, et tel est effectivement le caractère de la nouvelle classe qui s’établit. Dans la langue du temps, le noble est l’homme de guerre, le soldat (miles), et c’est lui qui pose la seconde assise de la société moderne.

Au dixième siècle, peu importe son extraction. Souvent c’est un comte carlovingien, un bénéficier du roi, le hardi propriétaire d’une des dernières terres franches. Ici c’est un évêque guerrier, un vaillant abbé, ailleurs un païen converti, un bandit devenu sédentaire, un aventurier qui a prospéré, un rude chasseur qui s’est nourri longtemps de sa chasse et de fruits sauvages[1]. Les ancêtres de Robert le Fort sont inconnus et l’on contera plus tard que les Capétiens descendent d’un boucher de Paris. En tout cas, le noble alors c’est le brave, l’homme fort et expert aux armes, qui, à la tête d’une troupe, au lieu de s’enfuir et de payer rançon, présente sa poitrine, tient ferme et protège par l’épée un coin du sol. Pour faire cet office, il n’a pas besoin d’ancêtres, il ne lui faut que du cœur, il est lui-même un ancêtre ; on est trop heureux du salut présent qu’il apporte pour le chicaner sur son titre. — Enfin, après tant de siècles, voici dans chaque canton des bras armés, une troupe sédentaire, capable de résister à l’invasion nomade ; on ne sera plus en proie à l’étranger ; au bout d’un siècle, cette Europe que saccageaient des flottilles

  1. Par exemple Tertulle, souche des Plantagenets ; Rollon, duc de Normandie ; Hugues, abbé de Saint-Martin de Tours et de Saint-Denis