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L’ANCIEN RÉGIME


sanctuaire. Par degrés leur campement devient un village, puis une bourgade : l’homme laboure dès qu’il peut compter sur la récolte et devient père de famille sitôt qu’il se croit en état de nourrir ses enfants. Ainsi se forment de nouveaux centres d’agriculture et d’industrie qui deviennent aussi des centres nouveaux de population[1].

Au pain du corps ajoutez celui de l’âme, non moins nécessaire ; car, avec les aliments, il fallait encore donner à l’homme la volonté de vivre, ou tout au moins la résignation qui lui fait tolérer la vie, et le rêve touchant ou poétique qui lui tient lieu du bonheur absent. Jusqu’au milieu du treizième siècle, le clergé s’est trouvé presque seul à le fournir. Par ses innombrables légendes de saints, par ses cathédrales et leur structure, par ses statues et leur expression, par ses offices et leur sens encore transparent, il a rendu sensible « le royaume de Dieu », et dressé le monde idéal au bout du monde réel, comme un magnifique pavillon d’or au bout d’un enclos fangeux [2]. C’est dans ce monde doux et

  1. Polyptique d’Irminon par Guérard ; on y verra la prospérité des domaines de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés à la fin du huitième siècle. D’après les statistiques de M. Guérard, les paysans de Palaiseau au temps de Charlemagne étaient à peu près aussi aisés qu’aujourd’hui.
  2. Du sixième au dixième siècle, il y a vingt-cinq mille Vies de saints rassemblées par les Bollandistes. — Les dernières vraiment inspirées sont celles de saint François d’Assise et de ses compagnons au commencement du quatorzième siècle. Le même sentiment vif se prolonge jusqu’à la fin du quinzième siècle dans les peintures de Beato Angelico et de Hans Memling. — La Sainte chapelle de Paris, l’église supérieure d’Assise, le paradis de Dante, les Fioretti peuvent donner une idée de ces visions. En fait