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L’ANCIEN RÉGIME


régulière et la conversation polie, et il les accompagne non par accident, mais par nature. Car il est justement l’œuvre de ce public nouveau que forment alors le nouveau régime et les nouvelles mœurs, je veux dire de l’aristocratie désœuvrée par la monarchie envahissante, des gens bien nés, bien élevés, qui, écartés de l’action, se rejettent vers la conversation et occupent leur loisir à goûter tous les plaisirs sérieux ou délicats de l’esprit[1]. À la fin, ils n’auront plus d’autre emploi ni d’autre intérêt : causer, écouter, s’entretenir avec agrément et avec aisance de tous les sujets, graves ou légers, qui peuvent intéresser des hommes ou même des femmes du monde, voilà leur grande affaire. Au dix-septième siècle, on les appelle « les honnêtes gens », et c’est à eux désormais que s’adresse l’écrivain, même le plus abstrait. « L’honnête homme, dit Descartes, n’a pas besoin d’avoir lu tous les livres ni d’avoir appris soigneusement tout ce qu’on enseigne dans les écoles » ; et il intitule son dernier traité « Recherche de la vérité selon les lumières naturelles qui, à elles seules et sans le secours de la religion et de la philosophie, déterminent les opinions que doit avoir un honnête homme sur toutes les choses qui doivent faire l’objet

  1. Voltaire, Dictionnaire philosophique, article Langue. « De toutes les langues de l’Europe, la française doit être la plus générale, parce qu’elle est la plus propre à la conversation. Elle a pris son caractère dans celui du peuple qui la parle. Les Français ont été, depuis plus de cent cinquante ans, le peuple qui a le plus connu la société et qui en a le premier écarté toute gêne… C’est une monnaie plus courante que les autres, quand même elle manquerait de poids. »