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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


après le vin, boit la lie. Non seulement dans leurs petits soupers et avec des filles, mais dans le beau monde et avec des dames, ils font des folies de guinguette. Tranchons le mot, ce sont des polissons, et ils ne reculent pas plus devant le mot que devant la chose. « Depuis cinq ou six mois, écrit une dame en 1782[1], les soupers sont suivis d’un colin-maillard ou d’un traîne-ballet et finissent par une polissonnerie générale. » On y invite les gens quinze jours d’avance. « Cette fois, on renversa les tables, les meubles ; on jeta dans la chambre vingt carafes d’eau ; enfin je me retirai à une heure et demie, excédée de fatigue, assommée de coups de mouchoir, et laissant Mme de Clarence avec une extinction de voix, une robe déchirée en mille morceaux, une écorchure au bras, une contusion à la tête, mais s’applaudissant d’avoir donné un souper d’une telle gaieté et se flattant qu’il ferait la nouvelle du lendemain. » — Voilà où conduit le besoin d’amusement. Sous sa pression, comme sous le doigt d’un sculpteur, le masque du siècle se transforme par degrés et perd insensiblement son sérieux : la figure compassée du courtisan devient d’abord la physionomie enjouée du mondain ; puis, sur cette bouche souriante dont les contours s’altèrent, on voit éclater le rire effronté et débridé du gamin[2].

  1. Mme de Genlis, Adèle et Théodore, II, 362.
  2. G. Sand, I, 85. Chez ma grand’mère, « j’ai trouvé des cartons pleins de couplets, de madrigaux, de satires sanglantes… J’en ai brûlé de tellement obscènes que je n’aurais osé les lire jusqu’au bout, et celles-là écrites de la main d’abbés que j’avais