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L’ANCIEN RÉGIME


tamorphoses, les exhibitions et les succès de l’histrion.

Dernier trait, plus significatif encore, je veux parler de la petite pièce. Véritablement, pour ce beau monde, la vie est un carnaval aussi libre et presque aussi débraillé qu’à Venise. D’ordinaire le spectacle finit par une parade empruntée aux contes de La Fontaine ou aux farces des bouffons italiens, non seulement vive, mais plus que leste, et parfois si crue, « qu’on ne peut la jouer que devant de grands princes ou des filles[1] » ; en effet, un palais blasé se dégoûte de l’orgeat et demande du rogomme. Le duc d’Orléans chante sur la scène les chansons les plus épicées, joue Bartholin dans Nicaise et Blaise dans Joconde, le Mariage sans curé, Léandre grosse, l’Amant poussif, Léandre étalon, voilà des titres de parades « composées par « Collé pour les plaisirs de Son Altesse et de la cour ». Contre une qui a du sel, il y en a dix bourrées de gros poivre. À Brunoy, chez Monsieur, elles sont si grivoises[2] que le roi se repent d’y être venu ; « on n’avait pas l’idée d’une telle licence ; deux femmes qui étaient dans la salle sont obligées de se sauver, et, chose énorme, on avait osé inviter la reine ». La gaieté est une sorte d’ivresse qui puise jusqu’au dernier fond du tonneau, et,

  1. Bachaumont, III, 343 (23 février 1768) et III, 232 ; IV, 174, — Journal de Collé, passim. — Collé, Laujon, Poinsinet sont les principaux fournisseurs de ces parades ; la seule bonne est la Vérité dans le vin. Dans cette dernière pièce, au lieu de « Mylord » il y avait d’abord « l’évêque d’Avranches », et la pièce fut jouée ainsi à Villers-Cotterets, chez le duc d’Orléans.
  2. Mme d’Oberkirch, II, 82. — Sur le ton des meilleures sociétés, voir Correspondance, par Métra, I, 20 ; III, 68, — et Besenval (Éd. Barrière), 387 à 394.