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L’ANCIEN RÉGIME


Que d’aisance dans le port et dans la démarche ! Quelle grâce piquante dans la toilette et le sourire, dans la vivacité du babil, dans le manège de la voix flûtée, dans la coquetterie des sous-entendus ! Comme on s’attarde involontairement à regarder et à écouter ! Le joli est partout, dans les petites têtes spirituelles, dans les mains fluettes, dans l’ajustement chiffonné, dans les minois et dans les mines. Leur moindre geste, un air de tête boudeur, ou mutin, un bras mignon qui sort de son nid de dentelles, une taille ployante qui se penche à demi sur le métier à broder, le froufrou preste d’un éventail qui s’ouvre, tout ici est un régal pour les yeux et pour l’esprit. En effet ici tout est friandise, caresse délicate pour des sens délicats, jusque dans le décor extérieur de la vie, jusque dans les lignes sinueuses, dans la parure galante, dans la commodité raffinée des architectures et des ameublements. Remplissez votre imagination de ces alentours et de ces figures, et vous trouverez alors à leurs amusements l’intérêt qu’ils y prenaient eux-mêmes. En pareil lieu et en pareille compagnie, il suffit d’être ensemble pour être bien. Leur oisiveté ne leur pèse pas, ils jouent avec la vie. — À Chanteloup, où le duc de Choiseul en disgrâce voit affluer tout le beau monde, on ne fait rien, et il n’y a pas dans la journée une heure vide[1]. « La duchesse n’a que deux heures de temps à elle, et ces deux heures sont pour sa toilette et ses lettres ; le calcul en est simple : elle se lève à onze

  1. Correspondance inédite de Mme du Deffand, publiée par M. de Saint-Aulaire, I, 235, 258, 296, 302, 363.