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L’ANCIEN RÉGIME


ans, l’enfant passe sa vie avec des femmes de chambre qui ne lui apprennent qu’un peu de catéchisme « avec un nombre infini d’histoires de revenants ». Vers ce temps-là on prend soin d’elle, mais d’une façon qui peint bien l’époque. La marquise sa mère, auteur d’opéras mythologiques et champêtres, a fait bâtir un théâtre dans le château : il y vient de Bourbon-Lancy et de Moulins un monde énorme ; après douze semaines de répétitions, la petite fille, avec un carquois et des ailes bleues, joue le rôle de l’Amour, et le costume lui va si bien qu’on le lui laisse encore pendant neuf mois à l’ordinaire et toute la journée. Pour l’achever, on fait venir un danseur maître d’armes, et, toujours en costume d’Amour, elle prend des leçons de maintien et d’escrime. « Tout l’hiver se passe à jouer la comédie, la tragédie. » Renvoyée après le dîner, on ne la fait revenir que pour jouer du clavecin ou déclamer le monologue d’Alzire, devant une nombreuse assemblée — Sans doute de tels excès ne sont pas ordinaires ; mais l’esprit de l’éducation est partout le même : je veux dire qu’aux yeux des parents il n’y a qu’une vie intelligible et raisonnable, celle du monde, même pour les enfants, et qu’on ne s’occupe deux que pour les y conduire ou pour les y préparer.

Jusqu’aux dernières années de l’ancien régime[1], les petits garçons sont poudrés à blanc, « avec une bourse, des boucles, des rouleaux pommadés » ; ils portent

  1. Mme d’Oberkirch, II, 35. Cette mode ne cesse qu’en 1783 — E. et J. de Goncourt, la Femme au dix-huitième siècle, 415. — Les petits Parrains, estampe par Moreau. — Berquin, l’Ami des enfants, passim. — Mme de Genlis, Théâtre d’éducation, passim.