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L’ANCIEN RÉGIME


vorable, et les graines n’étaient pas de la bonne espèce. En Espagne, le roi demeure enfermé dans l’étiquette comme une momie dans sa gaine, et l’orgueil trop raide, incapable de se détendre jusqu’aux aménités de la vie mondaine, n’aboutit qu’à l’ennui morne et au faste insensé[1]. En Italie, sous de petits princes despotes et la plupart étrangers, le danger continu et la défiance héréditaire, après avoir lié les langues, tournent les cœurs vers les jouissances intimes de l’amour ou vers les jouissances muettes des beaux-arts. En Allemagne et en Angleterre, le tempérament froid, lourd et rebelle à la culture retient l’homme, jusqu’à la fin du dernier siècle, dans les habitudes germaniques de solitude, d’ivrognerie et de brutalité. Au contraire en France, tout concourt à faire fleurir l’esprit de société ; en cela le génie national est d’accord avec le régime politique, et il semble que d’avance on ait choisi la plante pour le terrain.

Par instinct, le Français aime à se trouver en compagnie, et la raison en est qu’il fait bien et sans peine toutes les actions que comporte la société. Il n’a pas la mauvaise honte qui gêne ses voisins du Nord, ni les passions fortes qui absorbent ses voisins du Midi. Il n’a

  1. L. de Loménie, Beaumarchais et son temps, I, 403. Lettre de Beaumarchais (24 décembre 1764). — Voyage de Mme d’Aulnoy, et Lettres de Mme de Villars. — Pour l’Italie, voir Stendhal (Rome, Naples et Florence). — Pour l’Allemagne, voir les Mémoires de la margrave de Bareith et du chevalier Lang. — Pour l’Angleterre, on trouvera les textes dans les tomes III et IV de mon Histoire de la littérature anglaise.