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L’ANCIEN RÉGIME


vient avec l’intention de rendre compte des lettres qu’il a reçues et qu’il est chargé d’ouvrir ; mais il est interrompu deux cents fois dans cette opération par toutes sortes d’espèces imaginables. C’est un maquignon qui a des chevaux uniques à vendre… Ensuite c’est un polisson qui vient brailler un air et à qui on accorde sa protection pour le faire entrer à l’Opéra, après lui avoir donné quelques leçons de bon goût et lui avoir appris ce que c’est que la propreté du chant français. C’est une demoiselle qu’on fait attendre pour savoir si je suis encore là… Je me lève et je m’en vais. Les deux laquais ouvrent les deux battants pour me laisser sortir, moi qui passerais alors par le trou d’une aiguille, et les deux estafiers crient dans l’antichambre : « Madame, Messieurs, voilà Madame ! » — Tout le monde se range en haie, et ces messieurs sont des marchands d’étoffes, des marchands d’instruments, des bijoutiers, des colporteurs, des laquais, des décrotteurs, des créanciers, enfin tout ce que vous pouvez imaginer de plus ridicule et de plus affligeant. Midi ou une heure sonne avant que cette toilette soit achevée, et le secrétaire, qui sans doute sait par expérience l’impossibilité de rendre un compte détaillé des affaires, a un petit bordereau qu’il remet entre les mains de son maître pour l’instruire de ce qu’il doit dire à l’assemblée des fermiers. » — Oisiveté, désordre, dettes, cérémonial, ton et façons de protecteur, tout cela semble une parodie du vrai monde ; c’est que nous sommes au dernier étage de l’aristocratie. Et ce-