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L’ANCIEN RÉGIME


parade qu’on a substituée à l’action. Le roi a une cour, il faut qu’il la tienne. Tant pis si elle absorbe son temps, son esprit, son âme, tout le meilleur de sa force active, et de la force de l’État. Ce n’est pas une petite besogne que d’être maître de maison, surtout quand, à l’ordinaire, on reçoit cinq cents personnes ; on est obligé de passer sa vie en public et en spectacle. À parler exactement, c’est le métier d’un acteur qui toute la journée serait en scène. Pour soutenir ce fardeau et travailler d’ailleurs, il a fallu le tempérament de Louis XIV, la vigueur de son corps, la résistance extraordinaire de ses nerfs, la puissance de son estomac, la régularité de ses habitudes ; après lui, sous la même charge, ses successeurs se lassent ou défaillent. Mais ils ne peuvent s’y soustraire ; la représentation incessante et journalière est inséparable de leur place et s’impose à eux comme un habit de cérémonie lourd et doré. Le roi est tenu d’occuper toute une aristocratie, par conséquent de se montrer et de payer de sa personne à toute heure, même aux heures les plus intimes, même en sortant du lit, même au lit. Le matin, à l’heure qu’il a marquée d’avance[1], le premier valet de chambre l’éveille : cinq séries de personnes entrent tour à tour pour lui rendre leurs devoirs, et « quoique

    plus, et rentra dans son appartement comme elle était venue. » (Casanova, Mémoires.)

  1. « Sous Louis XVI, qui quittait son lit à sept ou huit heures du matin, le lever était à onze heures et demie, à moins que des chasses ou des cérémonies n’en avançassent l’instant. » — Même cérémonial à onze heures du soir pour le coucher, et dans la journée pour le débotté. (Comte d’Hézecques, 161.)