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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


est un seigneur, un homme du monde semblable aux gens de sa cour, encore plus mal élevé, plus mal entouré, plus sollicité, plus tenté et plus aveuglé. À tout le moins, il a comme eux son amour-propre, ses goûts, ses parents, sa maîtresse, sa femme, ses familiers, tous solliciteurs intimes et prépondérants qu’il faut d’abord satisfaire ; la nation ne vient qu’ensuite. — En effet, pendant cent ans, de 1672 à 1774, toutes les fois qu’il fait une guerre, c’est par pique de vanité, par intérêt de famille, par calcul d’intérêt privé, par condescendance pour une femme. Louis XV conduit les siennes encore plus mal qu’il ne les entreprend[1], et Louis XVI, dans toute sa politique extérieure, trouve pour entrave le rets conjugal. — À l’intérieur, il vit comme les autres seigneurs, mais plus grandement, puisqu’il est le plus grand seigneur de France ; je décrirai son train tout à l’heure, et l’on verra plus tard par quelles exactions ce faste est défrayé. En attendant, marquons deux ou trois détails. D’après des relevés authentiques, Louis XV a dépensé pour Mme de Pompadour 36 millions, au moins 72 millions d’aujourd’hui[2]. Selon d’Argenson[3], en 1751, il a dans ses écuries 4000 chevaux, et l’on assure que

  1. « Mme de Pompadour, écrivant au maréchal d’Estrées à l’armée sur les opérations de la campagne, et lui traçant une espèce de plan, avait marqué sur le papier avec des mouches les différents lieux qu’elle lui conseillait d’attaquer ou de défendre. » (Mme de Genlis, 329, Souvenirs de Félicie, Récit de Mme de Puisieux, belle-mère du maréchal d’Estrées.)
  2. D’après le registre manuscrit des dépenses de Mme de Pompadour, aux Archives de la préfecture de Versailles, elle avait dépensé 36 327 268 livres. (Granier de Cassagnac, I, 91.)
  3. Marquis d’Argenson, Mémoires, VI, 398 (24 avril 1751). —