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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


tout terrain quelconque de murs, haies ou fossés, sans une permission spéciale[1]. En cas de permission, il doit laisser dans sa clôture un large espace vide et uni pour que la chasse puisse passer à son aise. Il ne peut avoir chez lui aucun furet, aucune arme à feu, aucun engin propre à la chasse, ni se faire suivre d’un chien même impropre à la chasse, à moins que ce chien ne soit tenu en laisse ou n’ait un billot au cou. Bien mieux, on lui défend de faucher son pré ou sa luzerne avant la Saint-Jean, d’entrer dans son propre champ du 1er  mai au 24 juin, d’aller dans les îles de la Seine, d’y couper de l’herbe ou de l’osier, même si l’herbe et l’osier sont à lui ; c’est qu’à ce moment les perdrix couvent, et que le législateur les protège ; il aurait moins d’égards pour une femme en couches ; les vieux chroniqueurs diraient de lui comme de Guillaume Rufus que ses entrailles sont paternelles seulement pour les bêtes. Or il y a en France quatre cents lieues carrées de pays soumises au régime des capitaineries[2], et, par toute la France, le gibier, grand ou petit, est le tyran du paysan. Concluez ou plutôt écoutez comment conclut le peuple. « Chaque

  1. Les vieux paysans avec qui j’ai causé autrefois dans le pays ont gardé la vive impression de ces vexations et de ces ravages. — Dans le Clermontois, ils racontent que les gardes du prince de Condé au printemps prenaient des portées de loups et nourrissaient les jeunes loups dans les fossés du château. On les lâchait au commencement de l’hiver, et l’équipage du loup leur donnait la chasse. Mais ils mangeaient les moutons, et, par-ci par-là, un enfant.
  2. Le domaine du roi comprend en bois un million d’arpents, sans compter les bois situés dans les apanages ou affectés aux usines et aux salines. (Necker, Compte rendu, II, 56.)