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sent les crabes et se cramponnent les moules. — D’autres herbes lèvent leurs petites têtes hors de l’eau, et font de grandes traînées rudes à l’œil qui s’est déjà habitué à la douceur coulante et luisante de l’eau universelle. — Le vent tombe et cet éclat monotone devient plus marqué ; les flots s’apaisent et cessent de briser les longs reflets de la lumière ; il n’en reste que des ondulations arrondies qui viennent bouillonner en teintes chatoyantes de perles entre les creux plus sombres, puis fondre insensiblement cet opale dans les tons grisâtres et brunis qui l’entourent, toujours de même, sans qu’aucune arête vienne rompre la largeur infinie de la grande clarté mouvante. On dirait d’une glace qui ondulerait sans se fendre, et selon son mouvement paisible viendrait tour à tour éclairer ou assombrir les vagues profondeurs vertes, noires, grisâtres, toujours noyées de lumières et d’ombre. En même temps, le soleil, debout sur nos têtes, tombe par cent mille flèches dans la grande chaudière qui bout ; et de cette fumée maritime sort un assoupissement fiévreux qui trouble.