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vous avez entendu dire que la fortune tourne sur une roue ; si vous avez une bonne place, vous êtes au sommet de la roue. Rappelez-vous combien de fois on vous a fait mettre habit bas, et jeté à la porte, vos gages tous reçus à l’avance, et dépensés en souliers à talons rouges de hasard, en toupets de seconde main, en manchettes de dentelles raccommodées, indépendamment d’une dette énorme à la cabaretière et au liquoriste. Le gargotier voisin, qui auparavant vous faisait signe le matin de venir manger un savoureux morceau de bajoue, vous le donnait gratis et ne comptait que le liquide, aussitôt que vous êtes tombé en disgrâce, a présenté une requête à votre maître, pour être payé sur vos gages, dont il ne vous était pas dû un liard, et alors vous a fait poursuivre par des recors dans tous les cabarets borgnes. Rappelez-vous comme vous êtes devenu vite râpé, percé aux coudes, éculé aux talons ; que vous avez été forcé d’emprunter une vieille livrée, afin de vous présenter pour une nouvelle place ; d’aller furtivement dans chaque maison où vous aviez une ancienne connaissance qui dérobât pour vous de quoi vous empêcher de crever de faim ; et qu’en somme vous étiez au plus bas degré de la vie humaine, qui est, comme dit la vieille chanson, celle d’un saute-ruisseau hors de place ; rappelez-vous, dis-je, tout cela dans la condition florissante où vous êtes. Tendez une main secourable à vos frères cadets que le sort a déshérités ; prenez-en un à vos ordres, pour faire les messages de votre