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humain. La notable remarque de sir P. Sidney sur cette nation n’est pas mauvaise à mentionner ici. Il dit : « Chez notre voisine, l’Irlande, où le vrai savoir va quasi nu, les poètes cependant sont en grande vénération. » Ce qui montre que le savoir n’est nullement nécessaire soit pour faire un poète, soit pour le juger. Et de plus, voyez la destinée des choses, quoique le savoir ici aille plus nu que jamais, nos poètes n’y sont plus, comme autrefois, en grande admiration, mais bien la race la plus méprisable peut-être qui soit dans ce royaume, ce qui n’est pas moins étonnant que déplorable.

Quelques-uns des anciens philosophes étaient poètes, comme l’étaient Socrate et Platon, suivant l’auteur sus-mentionné, ce que, toutefois, j’ignorais jusqu’ici ; mais cela ne dit pas que tous les poètes soient, ou qu’aucun d’eux ait besoin d’être, philosophes, autrement que ne le sont ceux qui ont les coudes un peu percés. En ce sens, le grand Shakespeare aurait pu être un philosophe ; mais il n’était pas lettré, et pourtant c’était un excellent poète. Je ne crois pas non plus qu’un très-judicieux critique se soit autant trompé que d’autres le pensent, en avançant récemment cette opinion que « Shakespeare eût été moins poète, s’il eût été plus lettré ; » et sir W. Davenant est un autre exemple du même genre. Et il ne faut pas oublier que Platon était l’ennemi déclaré des poètes ; ce qui est, peut-être, la raison pour laquelle les poètes ont toujours été en hostilité avec sa profession, et ont