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LE CONTE

l’état où il venoit de réduire le ſien. Mais, remarquant qu’il n’y avoit point de remede, il fit de ſon mieux pour donner un air de vertu à ce qui étoit un effet néceſſaire de ſon imprudente précipitation. Il emploïa toute ſa Rhétorique, pour porter Martin à l’imiter. Jamais le Renard de la Fable n’aporta plus d’argumens ſubtils, pour porter toute ſon eſpéce à ſe faire couper la queuë, que Jean en décocha contre ſon Frere, pour le mettre à la raiſon ; c’eſt-à-dire, pour le reduire aux mêmes Lambeaux, dont il ſe voïoit couvert lui-même. Mais, helas ! il ne fit que tirer ſa poudre aux moineaux ; ce qui le mit dans une telle fureur, qu’etouffant de dépit & d’indignation, il accabla Martin de mille invectives canailleuſes. Pour faire court, voilà une bréche irréparable dans l’amitié des deux Freres. Jean fut ſe loger dans une chambre à part ; &, quelques jours après, un bruit ſe répandit, qu’il étoit devenu fou à lier. Il eut bientôt ſoin de confirmer ce bruit, en courant les ruës, & en tombant dans les fantaiſies les plus burleſques, qui aïent jamais été produites par un cerveau malade.