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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pour sa part de prise. Retourné à Halifax (1797) il passa à la Martinique, puis de là à la Jamaïque. Reprenant son service au 60e, il fut nomme capitaine en 1799. « J’ai souvent entendu dire, raconte M. de Gaspé, que sa compagnie et celle du capitaine Chandler[1] étaient les mieux disciplinées du régiment. » La plupart des officiers du 60e étaient des Anglais, mais il y avait aussi des Prussiens, des Hanovriens, des Suisses et des Canadiens. Les Allemands n’entendaient pas badinage. Salaberry étant un jour à déjeûner, l’un de ces derniers lui dit : « J’ai expédié un Canadien-Français dans l’autre monde. » Des Rivières venait de succomber en duel sous les coups de cet officier. « Fort bien, riposta Salaberry, tout à l’heure vous en aurez un autre devant vous. » Après le repas, on croisa le fer ; Salaberry avait écrit à son père qu’il chercherait partout un maître d’armes et qu’il lui déroberait sa science. Le duelliste qui venait de tuer Des Rivières trouva le poignet du jeune capitaine assez délié pour soigner son jeu. Ce fut un beau spectacle. On se battait au sabre, dans un jardin. Les attaques et les parades étaient jugées par des hommes du métier ; un coup de pointe atteignit le Canadien au front et le sang qui coulait de sa blessure l’aveugla un instant, mais posant un mouchoir autour de sa tête, il se remit en garde, tomba comme la foudre sur l’officier allemand et le fendit en deux — ni plus ni moins qu’une pomme. La force prodigieuse dont il était doué avait fait de lui un être exceptionnel aux yeux des soldats. On rapporte que l’un de ceux-ci, très indiscipliné, provoquait tous les militaires et causait mille désordres dans la garnison. Salaberry lui donna une raclée si parfaitement conforme aux règles du pugilat que le pauvre diable rentra dans la « vie privée, » disant pour expliquer sa défaite : « Ce n’est pas un rossignol qui m’a étrillé de cette façon ! » En 1803, Salaberry obtint un congé et passa plus d’un an à Québec. On avait la paix avec la France. À la rupture du traité d’Amiens, les officiers furent rappelés. Le 15 juin 1805, il y eut un dîner public à Québec en l’honneur de Maurice-Roch et de Louis de Salaberry, lieutenants au Royal Canadien, qui partaient pour l’Angleterre avec leur frère Charles-Michel. Ce dernier fut proposé par le duc de Kent en qualité d’aide-de-camp de quelque général employé aux colonies, puis on le destina à servir en Sicile (1806) mais le besoin de recruter pour combler les vides de certains régiments fit jeter les yeux sur lui ; il s’acquitta de la tâche avec le plus grand succès. En 1807, il fut sur le point de partir pour Malte à la suite de sir Charles Green, mais à l’automne on le nomma major de brigade, il alla en Irlande où il fut sur le point d’épouser Mlle  Fortescue, sa parente ; en 1809, retournant en Angleterre, il prit du service dans l’expédition de Welcheren (Hollande) s’y distingua et pour récompense fut envoyé à Québec (1810) aide-de-camp du général de Rottenburg. Coup sur coup, il apprit, au milieu des siens, la mort de ses trois frères (1809-1812) officiers des troupes anglaises servant aux Indes et en Espagne. C’est alors qu’il épousa sa cousine Melle  Hertel de Rouville.

Le 18 juin 1812, le congrès de Washington déclara la guerre à la Grande-Bretagne ; la nouvelle fut connue à Québec le 24. Les citoyens américains qui se trouvaient au Canada

  1. Il était du Canada et mourut seigneur à Nicolet.