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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Enfin, on détailla les avantages que la colonie retirerait d’une agence à Londres où se reporteraient les questions concernant le commerce et l’administration du Canada en général. La session se ferma le 19 mai.

Il a été remarqué, dans la guerre de l’indépendance américaine, que les principaux combats avaient eu lieu sur mer, entre les flottes anglaise et française. Pareille observation s’applique à la guerre de 1812-15. La première nouvelle certaine que nous eûmes d’un commencement d’hostilités, au printemps de 1812, fut la capture de la Guerrière, frégate anglaise par la Constitution portant le pavillon des États-Unis. Aussitôt le gouverneur fit appel à la loi. Le 28 mai il ordonna la levée de quatre bataillons volontaires, composés d’hommes non mariés, de dix-huit à vingt-cinq ans, sur les deux mille qu’il avait droit de ranger sous les drapeaux durant une année, d’après le vote de la dernière session. Dans les mouvements de ce genre, il faut un militaire autour duquel l’opinion publique puisse se rallier. Cet homme existait. Il reçut instruction de mettre sur pied un corps de Voltigeurs, troupes d’élite, et de le former aux usages de l’armée régulière. Deux jours après, Salaberry avait ses hommes dans la main.

Charles-Michel d’Irumberry de Salaberry naquit au manoir de Beauport, le 19 novembre 1778. Il s’enrôla à titre de volontaire (1792) dans le 44e régiment et le quitta lorsque ce corps reçut ordre de retourner en Angleterre. À l’âge de seize ans, le duc de Kent lui fit obtenir une commission d’enseigne dans le 60e régiment ; le jeune homme partit aussitôt pour la Dominique. Il n’attendit pas longtemps pour voir le feu. Envoyé à la Guadeloupe où commandait le général Prescott, il se trouva, le 6 décembre 1794, sur les remparts au bombardement du fort Mathilda, vit passer autour de lui cinquante bombes et entendit le ronflement de cinq cents boulets. Comme Nelson, il ignorait ce que c’était que la peur ; son œil tranquille, sa contenance assurée, au milieu de cet ouragan de flamme enthousiasmèrent ses supérieurs. Le « marquis de la poudre à canon » ne tremblait devant rien. Presque tous les hommes de son détachement furent tués ou blessés durant le siège ; ils sortirent trois de cette boucherie. « Nos uniformes, écrivait-il à son père coûtent très cher, mais j’ai reçu quarante louis et avec cela je vais me donner de quoi faire bonne figure ; il était temps ma bourse ne renfermait plus que deux guinées. » Ce beau grand garçon de seize ans, fort comme un hercule, souple et dispos, au visage riant, qui se servait de la langue anglaise avec toute la grâce d’un Anglais de vieille souche, possédait de plus l’éducation domestique si attirante et si caractéristique des anciens Canadiens. Il faisait fureur dans les cercles. Sir Charles Grey le nomma lieutenant (23 août 1794). « Beaucoup de promotions, écrit-il, parce que les officiers périssent par la débauche. » Comme il n’était jamais malade, on l’employait partout. Les fièvres décimaient son bataillon qui se trouva réduit à deux cents hommes au printemps de 1795. Le duc de Kent, qui commandait à Halifax, le fit entrer dans son régiment, le 4e, et aussitôt arrivé dans les eaux canadiennes, il lui donna congé pour aller voir sa famille à Beauport. Dans le trajet de retour il naufragea sur l’île Saint-Jean (1796) mais rejoignit son corps à Halifax, et comme la guerre faisait rage contre la république française, il se fit accorder la permission de monter à bord de l’Asia en qualité de lieutenant de marine,