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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

celui-ci disparut le 2 juin 1807, « faute d’encouragement. » Les Chouaguens firent semblant de se rallier un moment au Canadien.

Du 21 janvier au 16 avril 1807, l’assemblée législative siégea. Son attention était toute entière aux questions suivantes : — la guerre en Europe ; loi des suspects ; actes de milice ; police des villes ; frais de route des députés ; sociétés de bienfaisance ; élections contestées ; juges de paix ; messages du conseil à l’assemblée ; affaire du Chesapeake.

Un navire américain, le Chesapeake, avait été abordé par le vaisseau anglais le Léopard à le recherche de matelots déserteurs. Il en résulta une échange de notes diplomatiques aigres touchant le droit des neutres. La guerre contre Napoléon, (qui venait de lancer le décret de Berlin mettant en interdit les îles britanniques) menaçait d’entraîner les Américains contre l’Angleterre. M. Thomas Dunn, administrateur du Bas-Canada, en l’absence du gouverneur, crut devoir appeler un cinquième de la milice sous les armes (août 1807). Mgr Plessis se déclara en faveur de la mesure ; le tirage au sort eut lieu avec entrain. L’affaire n’alla pas plus loin.

Les hommes de la génération actuelle se figurent peut-être que les Canadiens-Français contemporains de Napoléon i parlaient et agissaient en partisan de ce fameux chef de la nation française. C’était tout le contraire. Ils n’aimaient pas sa politique ; les guerres continuelles qui marquent cette époque, les ennuyaient, non par amour de l’Angleterre mais parce que l’ambition du conquérant leur déplaisait. Et puis, les anciens rois de France étaient en exil : on s’apitoyait sur leur infortune. Ajoutons que les rapports publics étaient tous défavorables au caractère de Napoléon. Ses victoires mêmes nous étaient à peine connues tant les journaux anglais les transformaient habilement et les expliquaient à son désavantage. Le Mercury renchérissait sur les légendes qui couraient le monde à ce sujet. Parfois le Canadien se moquait de lui et trouvait passablement incompréhensible ce Napoléon toujours battu qui tenait l’Europe sous son pied. Les épigrammes étaient fort à la mode parmi nous. Le Mercury sautait de colère à chaque trait décoché d’une main légère et adroite. Soit par raison ou autrement, le Canadien se piquait de plaider la cause anglaise contre Napoléon, et la chambre, (côté canadien) agissait de même — mais la gaité s’emparait parfois du journal et des députés — car enfin la situation de cet éternel vaincu, toujours solide et redoutable, était assez étrange — deux députés ne pouvaient se regarder sans rire.

Sir James Henry Craig, nommé gouverneur général, arriva à Québec le 18 octobre 1807, apportant des nouvelles d’Europe qui n’étaient pas rassurantes pour l’Angleterre. La victoire d’Iéna venait d’augmenter le prestige de « Bonaparte » ; il était constant que le cabinet de Washington s’entendait avec les Tuileries ; les trônes de l’Europe passaient les uns après les autres à la famille de l’empereur des Français, enfin il y avait mille points noirs à l’horison.

La guerre empêchait la Grande-Bretagne de tirer des subsistances de plusieurs pays étrangers. Les États-Unis mirent embargo sur les navires anglais, ce qui aggrava la situation. Le commerce anglais se retourna du côté du Saint-Laurent. Les Canadiens s’en réjouirent. L’été de 1808, il sortit du port de Québec trois cent trente-quatre navires, chargés de