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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de ne pas aimer le peuple canadien. Il est facile de concevoir combien cette disposition déplaît aux Anglais ; combien souvent ils laissent percer le mécontentement qui en résulte ; combien l’officier anglais, vif et impatient, traite souvent avec dureté et mépris le Canadien : « Les Français leur donneraient des coups de bâton, les feraient mourir de faim et les mettraient aux fers — donc il faut ne les traiter qu’avec des coups et des fers. » Voilà ce qui se dit de cette nation aimable et généreuse, dans les dîners anglais — ce que j’ai entendu plusieurs fois, ce qui m’a souvent indigné, et ce que ne disent pas tout haut les gens plus réservés, mais ce qui ne peut pas être entièrement ignoré du Canadien… Quand, l’année dernière (1794) sur les apparences d’une guerre avec l’Amérique, lord Dorchester a voulu lever la milice en Canada, il n’a trouvé que des représentations ; un grand nombre de Canadiens se sont refusés même à se faire inscrire ; beaucoup disaient hautement ; « Si c’était contre les Américains nous marcherions sans doute pour défendre notre pays ; mais ce sont les Français qui vont arriver : nous ne marcherons pas ; pourrions-nous nous battre contre nos frères ? » Ces propos, que je tiens d’officiers anglais, et qui, à ce titre, ne peuvent être révoqués en doute, n’étaient l’effet d’aucune suscitation jacobine… On m’a certifié que, sur le refus, fait par les Canadiens, l’an dernier, de s’enrégimenter en milice, lord Dorchester a demandé son rappel en Angleterre… Ce pavillon anglais sous lequel je navigue, sur des lacs où a si longtemps flotté le pavillon français ; ces forts, ces canons enlevés à notre puissance ; ce témoignage perpétuellement sous mes yeux de notre ancienne faiblesse et de notre adversité me gênent, m’accablent, et me donnent un excès d’embarras, de honte, que je ne puis trop bien démêler et moins encore définir. »

Le Haut-Canada, qui s’était peuplé d’abord de quelques groupes de Canadiens, le long de la ligne d’eau formée par le Saint-Laurent et les grands lacs, renfermait, depuis dix ans, le noyau des U.-E. Loyalists et un certain nombre de soldats licenciés devenus cultivateurs. Lorsque le duc de la Rochefoucauld visita cette province (1795) il était accompagné de M. Dupetit-Thouars à qui le gouverneur Simcoe offrit des terres, tant pour lui-même que pour les royalistes français qui désireraient s’y établir. La Rochefoucauld, Dupetit-Thouars et le comte de la Puisaye appartenaient au même parti politique ; obligés de quitter la France après le désastre de Quiberon (1795) ces gentilshommes se dirigèrent en Amérique, en même temps que plusieurs de leurs compatriotes. Les uns s’établirent en Pennsylvanie, d’autres dans le Haut-Canada. Sur le plan des terres des environs d’York (Toronto) on lit les noms du comte de Puisaye, René-Augustin, comte de Chalus, Jean-Louis, vicomte de Chalus, Ambroise de Farcy, le chevalier de Marseuil, Michel Segeant, François Renoux, Julien Bugle, Quetton Saint-George, Augustin Boiton, Michel Fouchard, René Létourneaux, Jean Furon. Le ministre des colonies écrivait en 1798, qu’il était bon de regarder ces émigrés comme une race supérieure aux autres colons, et que, pour leur confort, ils devaient être tenus éloignés des anciens groupes de langue française ; la dépêche fait aussi com-