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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

sente constitution ? Quelle est en général la langue de l’empire ; quelle est celle d’une partie de nos concitoyens ; quelle sera la langue des Canadiens et des habitants de toute la province à une certaine époque future ? Je suis Canadien, fils de Français ; ma langue est la langue française, mais par suite de la division qui subsiste entre nous tous, je n’ai pu acquérir qu’une mince connaissance de l’anglais, par conséquent on ne prendra pas mon témoignage pour une démarche intéressée. Je suis d’opinion que c’est une nécessité absolue que, dans le cours du temps, les Canadiens adoptent l’idiome des Anglais, comme le seul moyen de dissiper ces soupçons et ces répugnances que la variété de langage maintient entre deux peuples unis par les circonstances et obligés de vivre ensemble, et dans l’attente de cette heureuse transformation, je pense qu’il est convenable que l’orateur de cette chambre soit en état de s’exprimer en anglais lorsqu’il s’approchera de la personne qui représente le souverain. » De son côté, M. Joseph Papineau demanda : « Est-ce parceque le Canada fait partie de l’empire britannique ; est-ce parceque les Canadiens ne parlent pas la langue des habitants des bords de la Tamise qu’ils doivent être privés de leurs droits ! » Et M. de Lotbinière se levant au milieu de l’attention générale, présenta les observations suivantes : « Le plus grand nombre de nos électeurs se trouvant dans une situation particulière, nous sommes obligés de nous écarter des règles ordinaires et de réclamer l’usage d’une langue qui n’est pas celle de l’empire. Mais, aussi équitables envers les autres que nous espérons qu’on le sera envers nous, nous ne voulons pas que notre langue exclue celle des autres sujets de Sa Majesté. Nous demandons que l’une et l’autre soient permises ; que nos procès-verbaux soient écrits dans les deux langues. » M. de Rocheblave parla avec sagesse : « Pourquoi donc, dit-il, nos frères anglais se récrient-ils en nous voyant décidés à conserver nos usages, nos lois et notre langue maternelle, seul moyen qui nous reste pour défendre nos propriétés ? Le stérile honneur de voir dominer leur langue les porterait-ils à enlever leur force et leur énergie à ces mêmes lois, à ces usages, à ces coutumes qui font la sécurité de leur propre fortune ? Maîtres sans concurrence du commerce qui leur livre nos productions, n’ont-ils pas infiniment à perdre dans le bouleversement général qui sera la suite infaillible de cette injustice, et n’est-ce pas leur rendre service que de s’y opposer ? » Résumant les discours des orateurs, M. Bibaud écrit : « La principale raison de M. McGill pour préférer M. Grant à M. Jean-Antoine Panet, était que le président devait connaître parfaitement la langue française et la langue anglaise, mais particulièrement la dernière. M. Bédard ayant dit que M. J-A. Panet entendait assez la langue anglaise pour conduire les affaires publiques, M. Richardson donna à entendre que les Canadiens étaient tenus, par tous les principes de la reconnaissance et de l’intérêt d’adopter la langue anglaise. M. P.-L. Panet parlant dans le même sens, demanda si le Canada n’était pas une colonie anglaise ; si la langue anglaise n’était pas celle du souverain et de la législature dont les Canadiens tenaient leur constitution, et de la réponse qu’il se faisait à lui-même, il concluait qu’il y avait nécessité absolue pour les Canadiens d’adopter la langue anglaise. M. J-A. Panet observa que le roi d’Angleterre parlait toutes les langues, et faisait des traités avec toutes les nations dans leurs propres langues, aussi bien que dans celle de l’Angleterre ; que le français était la langue des habitants de Jersey et Guernesey,