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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de cette phalange de jeunes gens qui en 1854 entra dans la politique portant un nouvel étendard et qui a été combattue avec autant de vaillance qu’elle en mettait elle-même à faire adopter ses idées. Doué du talent de la parole, s’exprimant avec éclat et précision, appuyé sur des études légales très fortes, il acquit du premier coup le droit de se faire écouter par la chambre, où il était devenu chef de parti dès son arrivée. En 1858, il prit le portefeuille des terres de la couronne dans le cabinet Brown-Dorion ; en 1862, celui de secrétaire provincial dans l’administration S. Macdonald-Sicotte. En mai 1863 il devint premier ministre du Bas-Canada. « Il était assuré, dit M. L.-O. David, du dévouement et de l’admiration de ses partisans et possédait le respect et l’estime de ses adversaires politiques… Il a eu le malheur d’être chef d’un parti qui n’a pas compris son temps et a montré plus d’ardeur et d’enthousiasme que d’habileté. »

George-Étienne Cartier avait été élu la première fois en 1848, à l’âge de trente-trois ans. Ancien partisan de Papineau, homme de lutte, stratégiste consommé, il ne traitait rien en amateur et y allait de tout son esprit, de tout son corps. Moins agréable orateur que M. Dorion, il dépassait celui-ci par la vigueur surprenante de sa parole et de ses agissements. C’était un lion toujours remuant, dévorant, fatiguant et jamais indécis. La confiance qu’il inspirait à ses partisans était illimitée, aussi l’escomptait-il ! Sa bonne humeur corrigeait ses élans les plus fougueux, et c’est pourquoi on ne le craignait pas, et on aimait à le suivre.[1]

Étienne-Pascal Taché était un homme d’une énergie indomptable. Il s’était formé à la fois dans les livres et par la vie pratique. La force de son caractère, ses connaissances, sa droiture, en imposaient aux deux côtés de la chambre. Il parlait avec calme, mais comme en contenant sa fougue naturelle. Il mourut premier ministre, décoré, envié et respecté.

Joseph Cauchon — grand liseur, écrivain brutal, polémiste redoutable, très écouté en chambre, mémoire prodigieuse qui lui vaut une bibliothèque ouverte, sachant se servir des hommes en les prenant par leur côté faible, peu cérémonieux, attaquant sans préambule et ripostant par des coups de maître, jamais à bout d’arguments et logicien serré, on ne peut dire qu’il se soit attiré l’affection de ses collègues, mais il a constamment pesé par sa valeur personnelle dans le monde politique. Formant comme un parti à lui seul, il n’a pris que ça et là le commandement d’un certain nombre de députés.

Charles-Joseph Laberge était par ses études légales, sa facilité de parole, la souplesse de sa plume, la droiture de son caractère, l’un des meilleurs champions du parti libéral. Descendu un jour du banc judiciaire, il rentra dans le journalisme et y termina sa carrière, entouré de la considération générale.

Jean-Baptiste-Éric Dorion, rédacteur de l’Avenir et du Défricheur, membre du parlement, colonisateur et pionnier de la forêt, fut le cerveau du parti rouge. Chez lui la lame usa le fourreau, car son physique ne répondait pas à l’ardeur de son âme. La plupart des idées « avancées » qu’il sema durant sa carrière sont devenus des choses communes à chacun de

  1. Sa statue, exécutée admirablement, en bronze, par notre compatriote M. L.-P. Hébert, vient d’être placée à la droite du parlement, Ottawa.