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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

tawa 9,000 également ; le surplus, 9,000 environ, était dispersé dans les divers autres comtés. Au sud, 56,404. dont 23,000 à Montréal, 15,000 dans le comté de Beauharnois ; 6,000 dans le comté d’Huntingdon ; 3,000 dans le comté de Rouville ; 2,500 dans le comté de Lotbinière et 4,000 dans celui de Dorchester : il y en avait à peine 3,000 dans les huit autres comtés. Dans la région du sud-est, où ils dominaient, on comptait 44,436 Anglais ; partout ils étaient en assez grand nombre, mais surtout dans les comtés de Missisqui, de Stanstead et Sherbrooke, où avaient été établis les loyalistes américains, et où se trouvaient à peine quelques Canadiens. À l’est ils n’étaient que 7,740, et figuraient en nombre un peu notable que dans les comtés de Bonaventure et de Gaspé. »

Le mouvement d’émigration vers les États-Unis commença à prendre des proportions sérieuses en 1830, alors que les nouvelles lois protégeant les manufactures nationales imprimaient déjà aux industries de nos voisins une activité et un développement qui appelaient les bras de l’étranger. Nos jeunes gens s’y précipitèrent en foule ; la plupart revinrent après quelques mois de travail, d’autres après quelques années ; il en resta bon nombre qui firent souche ; de nouvelles émigrations allèrent les rejoindre. On s’effraya, parmi nous, de cette perte de nos ouvriers, mais comment arrêter le torrent ? Nous n’avions ni grandes usines ni petites industries. Quelques journalistes, des orateurs se mirent à prêcher la colonisation. Peine inutile ! Ceux qui partaient n’avaient pas le goût du travail des champs ; ils obéissaient à cet instinct aventurier qui caractérise notre race ; ils cherchaient à s’ouvrir des carrières inconnues pour eux jusque là. En peu d’années, on les vit former des groupes, des villages mêmes et se masser dans certains quartiers des villes, de manière à rester ensemble et à se secourir mutuellement. L’esprit d’association se manifesta bientôt parmi eux. Ils voulurent avoir des prêtres de leur langue, des journaux, des cercles particuliers. À notre profonde surprise, ils avaient emporté avec l’orgueil du nom canadien tous les éléments qui constituent la vie nationale. Les voilà donc organisant leurs forces, se comptant et prenant avec courage une place inattendue dans la patrie nouvelle. Les plus hardis allèrent aux élections : les uns en sortirent juges de paix, juges de comtés, d’autres députés aux législatures. Depuis dix ans, ils se font naturaliser et combattent pour eux-mêmes. Dans les lieux où ils sont forts — et c’est dans beaucoup d’endroits — ils reproduisent une image très touchante du Canada français, mêlée à ce nous ne savons quoi qui s’emprunte aux mœurs des États-Unis. Ils regrettent la province de Québec, parlent de ses souvenirs, entonnent ses chants populaires, mais ils ne ressemblent pas à des exilés. Pour les empêcher en quelque sorte de s’oublier, la providence leur a procuré la persécution. Ceci est tout récent. Ce qui est encore plus récent c’est le vote qu’ils viennent de donner au parti démocrate (novembre 1884) et qui, au dire des principaux organes de la presse de New-York, a décidé de la victoire de M. Cleveland comme président des États-Unis. Un petit peuple qui paraissait destiné à être arraché du sol par la première secousse de l’adversité et qui au contraire va, toujours en s’étendant, jusqu’à s’implanter chez les voisins, n’est pas tout à fait indiffèrent aux yeux de l’histoire. Si le mouvement des autres races vers l’ouest se continue encore vingt cinq ans, les États de l’est les plus rapprochés du Bas-Canada, ne sauront plus s’ils sont américains ou