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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de faire corps avec le parti anglais. Le mot loyauté signifiait se soumettre à la dictée des gouvernants. C’est ainsi qu’agissaient les bureaucrates, continuateurs des chouayens sous un autre nom. Plus tard, après 1843, une doctrine étrange tenta de se faire jour. Les Canadiens patriotes commençaient à occuper des places dans les bureaux. Quelques uns s’avisèrent de dire que cette conquête n’en était pas une, puisque des employés ne sont pas des ministres et qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes. L’expérience est faite aujourd’hui : elle est d’accord avec un sain raisonnement. Si notre population était privée de l’aide que lui apportent les fonctionnaires de sa race, elle en serait encore à solliciter chapeau bas dans les antichambres des faveurs qu’elle a droit d’obtenir, car ce sont des droits — et ceux qui sont maintenant placés de manière à avoir accès journellement aux papiers de l’État se font un devoir de lui être utile, tout comme les protégés anglais, irlandais et écossais surveillent avec ardeur les intérêts de leurs nationaux. Bien entendu que, à l’origine des débats, on disait aussi que les Canadiens-Français étaient incapables, soit par ignorance ou ineptie naturelle, de faire honneur à ces sortes de positions ; l’accusation est toujours nouvelle et toujours démentie par les faits. En 1847, les Canadiens ne formaient pas encore un sixième des employés publics, et la plupart n’occupaient que les grades inférieurs, pourtant ils représentaient la moitié de la population des deux provinces réunies. Leurs salaires s’élevaient à quatre mille louis, celui des Anglais à vingt-trois mille.

Deux moyens se présentaient en 1837 pour résister au régime que l’Angleterre, par ses créatures, persistait à nous imposer : — la révolte, mauvais expédient si l’on ne se sent le plus fort ; la constance politique, qui entraîne avec elle peu de risques et qui réussit presque toujours. Qu’a-t-on fait ? Une prise d’armes — et les hommes et les armes manquaient presque absolument ! Une déclaration de gouvernement libre — et tout indiquait l’impossibilité d’y parvenir !

La Nouvelle-Écosse se plaignait, comme nous, des abus du système autoritaire, mais elle n’a pas eu recours à la violence, et elle a réussi à faire reconnaître ses droits — peut-être un peu grâce à notre insurrection qui lui renforcissait la main. M. Josepe Howe, le champion de cette province, dit avoir regardé alors l’attitude du Bas-Canada avec anxiété, et en avoir tiré parti pour sa propre cause, tout le temps que dura notre agitation.

Avec une patience admirable, les Canadiens subissaient, depuis de longues années, un état administratif indigne de tout peuple qui a un passé et qui sent sa force. Si quelques uns ont pris les armes c’est qu’ils étaient poussés à bout. Quel exemple, à côté des peuples que l’on a ruinés, rudoyés, bafoués, refoulés, exaspérés — et qui n’ont pas cru devoir se révolter ! On veut à présent nous en faire un reproche. Comment ! pour revendiquer nos droits, il faut être mis au-dessous des esclaves volontaires ! Vous admirez donc les peuples qui cèdent aux oppresseurs et qui se fondent d’eux-mêmes dans le grand tout d’un empire quelconque ! Pas nous !

Les « patriotes » ont eu le courage de revendiquer par la force des libertés que tous les habitants de la colonie invoquaient ; ils l’ont fait avec cet élan particulier à leur race et dont l’histoire du Canada offre tant d’exemples. Sous le régime français, les Canadiens avaient