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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

D’après John Lambert, les colons anglais qui s’établirent les premiers en Canada étaient si peu nombreux et de si mince éducation qu’ils ne contribuèrent aucunement à relever le pays. Les officiers civils eux-mêmes étaient ou illettrés ou adonnés à la dissipation. Leur conduite, jointe à celle des militaires, qui étaient fort relâchés à cette époque, eut un effet désastreux sur la partie de la population qui se trouva en contact avec ces étrangers. Jusque vers 1812, on en éprouva la triste expérience. L’un des héros de ces groupes de débauchés fut le duc de Kent qui séjourna quelques années parmi nous et fit école.

C’est aux Anglais qu’est due la première idée d’un gouvernement représentatif dans la colonie : ils l’avaient emportée avec eux, tout naturellement. Les Canadiens, pour qui cela était nouveau, redoutaient le projet, à cause de l’influence qu’il pouvait fournir à la population anglaise, déjà exercée à se servir de l’instrument en question. Les quinze premières années après la conquête constituent une période d’attente et de tâtonnement durant laquelle chacun regardait son voisin avec défiance. Il y eu des mouvements politiques, destinés à prouver à l’Angleterre que personne n’était satisfait du régime existant — les Anglais parce qu’ils désiraient réduire plus vite les Canadiens, et les Canadiens parce qu’ils ne voyaient qu’une liberté dérisoire dans le mode de gouvernement qu’on leur appliquait.

En 1774, par « l’acte de Québec, » « on nous donna à peu près tout ce que nous désirions. Il était temps, car les colonies anglaises avoisinantes avait jeté le masque de la « loyauté. » Dès que les Yankees se révoltaient, l’Angleterre devait, dans son intérêt, se rapprocher de nous. Il fallait voir si les trafiquants du Canada étaient furieux de la bonne fortune qui advenait aux Canadiens ! Un conseil, composé de Canadiens et d’Anglais, était autorisé par l’acte. Notre race avait été représentée si souvent, en Angleterre, comme le type de l’ignorance et du crétinisme, que l’on se montra inquiet de l’emploi d’une pareille liberté. À cette crainte chimérique autant que malveillante, le général Carleton, qui nous avait gouvernés de 1766 à 1770, répondit par la déclaration suivante devant la Chambre des Communes, en 1774 : « Les protestants du Canada sont au nombre de trois cent soixante, et aucun d’eux, n’est propre à être élu membre d’une chambre d’Assemblée ! »

Parmi les requêtes publiques de cette époque fertile en mensonge et en haine de toute sorte, on peut citer celle qui expose le danger que courent les protestants en Canada au milieu d’un peuple professant la religion catholique, laquelle religion « est connue pour être sanguinaire et idolâtre. » Franklin, qui agitait alors les esprits dans la Nouvelle-Angleterre, se plaignait de la libéralité de la grande Bretagne à l’égard des vaincus du Canada.

Le conseil législatif se réunit la première fois le 17 août 1775. Voici les noms de ceux qui le composaient : Hugh Finlay, Thomas Dunn, James Cuthbert, Colin Drummond, Edward Harrison, John Collins, Adam Mabane, George Pownall, Alexander Johnston, Conrad Gugy, John Fraser, George Allsopp, François Lévêque, Pécaudy de Contrecœur, Roch Saint-Ours d’Eschaillons, Charles-François Tarieu de Lanaudière, Saint-Luc de Lacorne, Joseph G. Chaussegros de Léry, Picotté de Belestre, Des Bergères de Rigauville.

C’était un groupe de huit seigneurs et de douze hommes de loi et commerçants anglais.