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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Durant un siècle et demi (1608-1760) de quel côté a été le beau rôle dans l’Amérique ?

Dans le commerce du côté des Yankees, si le fait de recevoir d’Europe des marchandises que l’on sacrifiait pour sustenter les colons peut s’appeler du commerce. Mais qui a exploité le premier, et sur une vaste échelle, les produits naturels du nouveau continent ? Qui a lié amitié avec les sept-huitièmes des nations sauvages ? Qui a réuni dans sa main le monopole de la traite des pelleteries ? Qui a ouvert des cultures et s’est mis sans tarder à l’abri de la famine. Les Canadiens ! Ceux-ci apprirent à suffire à leurs besoins ; ils fabriquaient les objets d’habillements ; ils avaient des artisans dans tous les métiers ; on construisit des navires qui exportaient le surplus des céréales récoltées et non consommées ; on établissait de puissantes forges ; les bois, les fourrures, le poisson, les huiles prenaient le chemin de la France et des îles du sud — et tout cela avait lieu à une époque où nous ne comptions pas six mille âmes de population. Et que faisaient les Yankees pendant ce temps ? Craintivement cabanés près du rivage, ils seraient morts de faim si leurs amis d’Angleterre n’y eussent pourvu ; ils attendaient d’Europe de quoi se vêtir ; ils ne tiraient presque rien du sol et encore moins de la forêt, où ils n’osaient jamais s’aventurer — à tel point que leurs récits mentionnent comme un fait des plus extraordinaires le voyage d’un de leurs ministres à trente lieues dans l’intérieur, alors que les Canadiens avaient parcouru la moitié du continent et traitaient au Mississipi. Ces contrastes sont accablants pour nos voisins.

Dans le choix des colons ? Ce n’est pas chez nous, Dieu merci, que l’on a envoyé des chargements de repris de justice et de filles équivoques. Notre population a été puisée à une source tellement pure et si parfaitement appropriée aux exigences du pays, qu’elle n’a pour ainsi dire demandé rien autre chose à la mère-patrie, tout en exécutant (bien au delà des espérances que l’on avait conçues d’elle) le plan de colonisation et d’extension préparé par ses chefs. Cinquante ans avant la cession, le Bas-Canada fournissait de colons, d’artisans, etc., sans l’aide de la France, la longue ligne de forts et d’établissements qui se prolongeait jusqu’aux bouches du Mississipi. Nos voisins ont-ils quelque chose de semblable à montrer, même en petit ?

Dans les découvertes ? Nul Yankee n’avait encore perdu de vue son campement, que déjà nous avions remonté l’Ottawa, visité les grands lacs, atteint le bas Wisconsin, et enfin pénétré au cœur du continent. Va-t-on croire que, par la suite, nos voisins se sont mis à nous imiter ! Pas du tout. Leur part dans la découverte de l’Amérique du Nord est représentée par zéro, ou à peu près ; car si Hudson (qui n’était pas Yankee) a fait connaître la baie qui porte son nom, ce sont les Canadiens qui l’ont occupée. De Terreneuve au Pacifique, à la Nouvelle-Orléans et aux Alleghanys, il n’y a pas un pouce de terrain qui ait été connu des Yankees avant la cession. Ainsi, une population qui ne pouvait pas se suffire à elle-même, faute d’industrie et d’organisation, ne sut pas, non plus, étendre son influence au-delà de son mince territoire et ne fit rien pour la civilisation. L’idée de la comparer aux groupes acadien et canadien fait sourire.

Dans les fondations ? Où sont les Yankees descendant des fondateurs du Massachusetts,