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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Il n’arriva que trois ou quatre cents recrues durant la saison de navigation de 1758, avec douze mille barils de farine. C’était le moment où les troupes anglaises, plus nombreuses que jamais, se rapprochaient de nos frontières sur plusieurs points et allaient tenter un effort, suprême pour écraser le Canada. La rencontre de Montcalm et d’Abercromby à Carillon (8 août 1758) procura aux Français une victoire tellement éclatante que tout le plan d’invasion se trouva arrêté. Dans cette lutte où l’ennemi s’était vu cinq fois supérieur à nous par le nombre de ses soldats, les milices canadiennes se couvrirent de gloire. Il n’y a qu’une voix chez les historiens pour rendre hommage à celles-ci. Montcalm lui-même n’y résista pas. La colonie fut littéralement sauvée — ou plutôt sa conquête retardée d’une année entière — par ce coup de fortune.

Le mémoire officiel de 1758, déjà cité, parlant du danger que courent les sommes d’argent transportées par mer, propose un arrangement au sujet du papier-monnaie plus équitable dit-il que celui alors en vigueur. Il ajoute : « l’habitant, qui sait qu’il ne pourrait faire aucun usage des cartes et des ordonnances si les Anglais s’emparaient du pays, est engagé à défendre celui-ci par son propre intérêt. » En présence de l’héroïsme et du dévouement plus que français des Canadiens, on entretenait donc encore des doutes sur leur loyauté à la couronne de France ? Cet aveuglement des autorités est d’accord avec toute notre histoire avant la conquête.

Elle eut lieu cette conquête inévitable, mais si glorieusement retardée par notre valeur. Lorsque la flotte anglaise parut devant Québec, au mois de juin 1759, la population s’ébranla en masse pour la repousser. Les vieillards, les femmes et les enfants se mirent à travailler au transport des vivres et des munitions. Les armées envahissantes possédaient autant de soldats qu’il y avait d’âmes parmi nous : soixante mille. Avec la poignée de troupes françaises qu’il commandait, Montcalm n’eut pas résisté dix jours au général Wolfe, mais les milices, qui formaient en ce moment les trois quarts de toute l’armée, ne faiblirent pas une minute. Après divers combats sans avantages, Wolfe surprit, le matin du 13 septembre, un poste mal gardé par Vergor, une créature de Bigot, et déploya ses régiments sur les plaines d’Abraham. Montcalm, qui n’avait aucune des qualités du stratégiste et qui était tout de feu, se jeta, avec un peu plus de quatre mille hommes, à la tête du général anglais et périt sans avoir appelé le camp canadien de Beauport, sans avoir prévenu Bougainville détaché à la rivière Jacques-Cartier avec deux mille hommes. Les Anglais entrèrent dans Québec. Lévis, lieutenant de Montcalm, revenant du haut Canada, apprit ce désastre à Montréal. Il accourut, rallia les débris des forces françaises et les bataillons canadiens, puis se replia vers les Trois-Rivières et Montréal après avoir construit un fort à Jacques-Cartier. L’hiver fut terrible, par suite de la disette, de la situation désespérée du pays et l’incertitude où l’on était des secours de France.

Jusque là nous avions constamment subi des pertes, car, vainqueurs ou vaincus, les défenseurs de la cause française diminuaient à chaque bataille. Les officiers français ne se souciaient plus que d’abandonner une colonie ruinée et conquise. Ont-ils songé au sort qui attendait les Canadiens ? C’est douteux. En tous cas, rien ne nous l’indique.