Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VII, 1882.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

nements du pays, où leurs descendants se retrouvent encore aujoud’hui. Plusieurs s’incorporèrent à la milice et servirent avec un parfait dévouement jusqu’à la fin de la guerre.

Vers le milieu de mai 1756, le marquis de Montcalm arriva de France avec deux bataillons réguliers et quatre cents recrues. Il apportait aussi des vivres et un million quatre cent mille francs de numéraire. Ce renfort permit à M. de Vaudreuil d’exécuter le projet qu’il avait conçu de prendre et raser Oswégo (Chouegen) et, en dépit de l’opposition de M. de Montcalm, il ordonna de marcher contre cette forteresse. L’attaque qui décida de la victoire des Français fut préparée et faite par les Canadiens sous la conduite de Rigaud de Vaudreuil, frère du gouverneur. Montcalm ne revenait pas de sa surprise en se voyant victorieux là où il avait pensé être battu ou tout au moins repoussé. Le soir de cette journée mémorable, il écrivit au ministre que les choses s’étaient passées si étrangement pour un militaire habitué au service, que si Sa Majesté voulait bien continuer à lui accorder sa confiance il promettait de ne plus rien entreprendre d’aussi complètement hors des règles du métier. Comme Braddock, Dieskau et Abercromby, il ne cachait pas son mépris pour les milices et ne pouvait se persuader qu’il y eut une autre manière de combattre que celle des Européens. Le marquis de Vaudreuil adressant des éloges aux Canadiens, agaçait les nerfs de M. de Montcalm qui le témoigne assez par ses lettres. Les troupes françaises partageaient cette jalousie de leur chef, parce qu’elles se croyaient supérieures en savoir et en bravoure aux humbles milices. La vérité est que celles-ci composaient la meilleure armée du Canada. Les troupes du roi réunies ne dépassaient point deux mille cinq cents hommes en ce moment ; elles étaient totalement ignorantes de la guerre telle que pratiquée en Amérique.

Les dépenses du Canada augmentaient et les ministres se récriaient. En 1756, la colonie devait au roi quatorze millions ; l’exercice de 1757 allait en absorber sept autres. On parlait bien de vols, de malversations — sans toutefois rechercher les coupables qui étaient connus pour être des favoris de l’entourage de Louis XV. Il fallut se résoudre à envoyer (1757) quelques vivres et des munitions. Montcalm qui, dès son débarquement, avait jugé la colonie perdue irrémédiablement, ne songeait plus qu’à opposer à l’ennemi une résistance glorieuse et sans espoir. Dans le cours de l’été, il arriva de France, par détachements, quinze cents soldats ; Vaudreuil en avait demandé cinq mille. Au mois d’août Montcalm enleva le fort de William-Henry. Les milices qui formaient la moitié des assiégeants, s’y distinguèrent sous les ordres de Rigaud de Vaudreuil.

La disette prenait des proportions alarmantes. Les troupes régulières demandaient du pain et refusaient de servir. On voyait des hommes tomber de faiblesse dans les rues par défaut de nourriture. Le gouverneur écrivait au ministre que les habitants n’avaient plus ni farine, ni lard, ayant tout donné aux troupes. À Paris, le maréchal de Belle-Isle proposait d’envoyer au Canada un corps de quatre mille hommes qu’il avait sous la main et qui voulaient servir en Amérique, puis se faire colons. Le ministre répondit que le transport de ces troupes coûterait trop cher. Qui ne connait les épouvantables gaspillages d’argent dont Louis XV et ses favoris se sont rendus coupables !