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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

et on pourrait dire prodigués, par Louis XIV en faveur des Canadiens de mérite, se complétaient par des grades dans l’armée et des décorations, jusqu’à la croix de Saint-Louis inclusivement ; des pensions, d’un bas chiffre il est vrai, mais qui se reportaient ordinairement sur la veuve ou sur la jeune famille récompensaient les services militaires. En un mot, des carrières étaient ouvertes à l’ambition et au courage des fils de l’habitant. Le chef de la colonie était toujours un homme qui avait gagné ses éperons ; son entourage se ressentait de cette influence. La haute classe de la société, bien que pauvre, était remplie de l’élan et de la fierté de cette ancienne noblesse qui voyait dans la guerre la seule occupation digne d’un gentilhomme et qui estimait la gloire des armes plus que les honneurs et la fortune.

Les lignes suivantes de La Hontan sur l’administration du pays, ont leur place dans ce chapitre : « Le gouverneur-général de Québec a la disposition des emplois militaires. Il donne les compagnies, les lieutenances et les sous-lieutenances, à qui bon lui semble, sous le bon plaisir de Sa Majesté ; mais il ne lui est pas permis de disposer des gouvernements particuliers, des lieutenances de roi, ni des majorités de places. Il a de même le pouvoir d’accorder aux nobles, comme aux habitants, des terres et des établissements dans toute l’étendue du Canada ; mais ces concessions se font conjointement avec l’intendant. Il peut aussi donner vingt-cinq congés ou permissions par an, à ceux qu’il juge à propos, pour aller en traite chez les nations sauvages de ce grand pays. Il a le droit de suspendre l’exécution des sentences envers les criminels, et par ce retardement il peut aisément obtenir leur grâce s’il veut s’intéresser en faveur de ces malheureux ; mais il ne saurait disposer de l’argent du roi, sans le consentement de l’intendant, qui seul a le pouvoir de le faire sortir des coffres du trésorier de la marine. Il a vingt mille écus d’appointement annuel, y comprenant la paie de la compagnie de ses gardes et le gouvernement particulier du fort (de Québec) ; outre cela, les fermiers du castor lui font encore mille écus de présent. D’ailleurs, les vins et toutes les autres provisions qu’on lui porte de France ne payent aucun fret ; sans compter qu’il retire pour le moins autant d’argent du pays par son savoir faire[1]. L’intendant en a dix-huit mille ; et Dieu sait ce qu’il peut acquérir par d’autres voies[2] ; mais je ne veux pas toucher cette corde-là, de peur qu’on ne me mette au nombre de ces médisants qui disent trop sincèrement la vérité. L’évêque tire si peu de revenu de son évêché, que si le roi n’avait eu la bonté d’y joindre quelques autres bénéfices situés en France[3], ce prélat ferait aussi maigre chère que cent autres de son caractère dans le royaume de Naples. Le major de Québec a six cents écus par an. Le gouverneur des Trois-Rivières en a mille, et celui de Montréal deux mille. Les capitaines des troupes cent vingt livres par mois. Les lieutenants quatre-vingt-dix livres, les lieutenants réformés[4] cinquante, les sous-lieutenants quarante, et les soldats six sols par

  1. Ce que l’on nomme vulgairement le tour du bâton.
  2. Il dit, parlant de M. de Meulles, « je crois qu’il n’a pas négligé ses propres affaires ; il y a même apparence qu’il a fait un certain commerce souterrain qui est un vrai petit Pérou. » Ce même M. de Meulles dénonçait avec chaleur les gentilshommes canadiens engagés dans la traite sans permission.
  3. Le roi avait fait réunir les deux manses de l’abbaye de Maubec en faveur de l’évêché et du chapitre de la cathédrale de Québec, sous Mgr de Laval ; l’abbaye de Benevent fut ajoutée à ces bénéfices du temps de Mgr de Saint-Valier.
  4. Ceux qui, après un temps de service, sont détachés des troupes.