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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

à la Havane, écrivit au ministre pour lui donner connaissance de cet événement. M. Diron d’Artaguette, que l’on avait adjoint comme commissaire-ordonnateur à M. de Muys, en remplacement de M. de La Salle, destitué, avait été plus heureux que son compagnon de voyage et était arrivé sain et sauf à la Louisiane. M. de Bienville, étant officiellement informé qu’il avait été porté plusieurs plaintes contre lui et que M. de Muys avait eu l’ordre d’en prendre connaissance, pria M. d’Artaguette, vu la mort de M. de Muys, de s’informer auprès des habitants des faits qui avaient été avancés contre lui et qu’il assurait être faux, attendu qu’il n’avait jamais eu d’autre but que de servir fidèlement Sa Majesté. M. de Bienville, dans la lettre qu’il adresse au ministre, en date du 25 février, pour lui annoncer la demande qu’il a faite à M. d’Artaguette, termine en disant, non sans quelque amertume : « qu’il n’a pu savoir du sieur d’Artaguette la nature des plaintes portées contre lui, le sieur d’Artaguette lui ayant répondu qu’il avait ordre du gouvernement de ne les point communiquer, et que par conséquent, lui, Bienville, se trouve dans la dure nécessité de ne pouvoir se justifier. » Bienville avait certainement raison de se plaindre de cette manière ténébreuse et inquisitoriale de procéder contre lui, laquelle était si contraire aux principes les plus vulgaires de justice et d’équité. Mais le rapport de d’Artaguette, fait le 26 février, fut loin de lui être défavorable. Ce rapport annonçait au ministre que toutes les accusations portées contre Bienville étaient de misérables calomnies. Le major Boisbriant y joignit une attestation confirmant les conclusions de d’Artaguette. Mais M. de Lasalle, qui avait été destitué en même temps que Bienville, ne se tint pas pour battu, et, renouvelant ses accusations, affirma que d’Artaguette ne devait pas être cru concernant M. de Bienville, attendu qu’il s’entendait avec lui et que l’un ne valait pas mieux que l’autre. Non content d’attaquer avec violence Bienville et d’Artaguette, c’est-à-dire l’accusé et le juge d’enquête, il dénonça au ministre le chirurgien de la colonie, nommé Barrot, et le flétrit des titres d’ignorant et de voleur qui vend à son profit les remèdes du roi. La colonie pendant que ses chefs luttaient ainsi de haine et d’hostilité, ne pouvait guère prospérer. Voici quel en était l’état, en août 1708, d’après l’exposé suivant, envoyé en France par l’ex-commissaire-ordonnateur, M. de La Salle : — Garnison : 14 officiers-majors, compris un garde-marine servant de commandant ; 76 soldats, compris quatre officiers-soldats ; 13 matelots, compris quatre officiers-mariniers ; 2 Canadiens, servant de commis dans les magasins par les ordres de M. de Bienville, commandant ; 1 maître valet aux magasins ; 3 prêtres, compris un curé ; 6 ouvriers ; 1 Canadien, servant d’interprète ; 6 mousses, tant pour apprendre les langues sauvages que pour servir en mer et à terre les ouvriers. Total, 122. — Habitants : 24 habitants, qui n’ont aucunes concessions de terre assurées, ce qui empêche la plupart d’ouvrir des habitations ; 28 femmes, 25 enfants ; 80 esclaves, tant sauvages que sauvagesses, de différentes nations. Total, 157. Total général 279 — dont six malades. Plus, 60 Canadiens errants, qui sont dans les villages sauvages situés le long du fleuve du Mississipi, sans permission d’aucun gouverneur et qui détruisent, par leur mauvaise vie libertine avec les sauvagesses, tout ce que messieurs des Missions-Étrangères et autres leur enseignent sur les mystères de la religion. — Bestiaux : 50