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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

jamais recommandé sans doute si elle eût été mère[1]. » À la révocation de l’édit de Nantes (1685) les malheureux protestants, échappés par l’Allemagne, la Hollande et l’Angleterre, se réfugièrent en grand nombre dans les colonies anglaises, de la Virginie au Massachusetts, où ils fondèrent des villes. Le roi, sollicité de leur permettre de s’établir sur le Mississipi répondit qu’il ne les avait pas expulsés de son royaume pour leur ouvrir ses colonies. Ce refus a donné lieu à des commentaires de la part des historiens. En ce qui regarde le Canada, nous croyons que la mesure fut sage, d’abord parce qu’elle prévint l’introduction d’un élément religieux étranger à ses habitants, ensuite parce que le voisinage des Anglais eut attiré de ce côté les sympathies des colons protestants du Canada. En ne les admettant pas ici, le roi évitait pour l’avenir le risque de dissensions religieuses et maintenait aux frontières la ligne bien tranchée qui nous séparait des sujets de l’autre couronne. Guillaume III, à la tête de régiments de huguenots français, livrant bataille aux généraux du roi de France n’était pas un spectacle encourageant pour les Canadiens. Il faut songer aussi que les huguenots de France appartenaient aux classes du commerce et de l’industrie ; qu’eussent-ils fait parmi nous ? C’était bien le pays du monde le moins préparé pour eux. Le Canada manquait de cultivateurs ; il ne lui fallait que des hommes de cette classe ; il ne cessait d’en demander ; le roi faisait la sourde oreille — allait-il tout à coup nous envoyer des marchands, des manufacturiers, des agents de change, des teinturiers, des passementiers, tous gens impropres au travail de la terre ! Nous avons, certes ! bien des reproches à adresser à Louis XIV, mais il eut mis le comble à son incurie en nous envoyant une population si peu en rapport avec la situation du Canada, et c’eut été aggraver le crime commis par la révocation de l’édit de Nantes.

Nommé chevalier de Saint-Louis et gouverneur de la Louisiane, d’Iberville forma une colonie presque uniquement composée de Canadiens et se présenta le 7 décembre 1699 devant Biloxi où il installa le sieur Dugué de Boisbrillant, Canadien, en qualité de major. Sauvole gardait le commandement de la Louisiane, ayant Le Moyne de Bienville pour lieutenant. Après une visite aux Natchez[2], d’Iberville laissa Sauvole à Biloxi et repassa en France pour demander des secours et surtout la liberté du commerce, sans laquelle, disait-il, la Louisiane ne se peuplerait pas. Le chevalier de Tonty[3] arriva, sur ces entrefaites, des Illinois avec vingt Canadiens, qui tous restèrent en Louisiane. Toujours infatigable, d’Iberville retourna à Mobile, en 1701, avec son frère, LeMoyne de Sérigny, qui commandait

  1. Garneau ; Histoire du Canada, I, 268.
  2. D’Iberville voulait fonder en cet endroit une ville, sous le nom de Rosalie, en l’honneur de madame de Pontchartrain, femme du ministre. Ce projet s’exécuta en 1712.
  3. En 1686 Henry de Tonty visita Montréal ; il en repartit le 15 août pour le fort Saint-Louis des Illinois. En 1687 à la guerre dans les cantons iroquois, il commandait une compagnie de Canadiens. Le 16 avril 1689 il était au fort Crèvecœur. En 1692, sept compagnies des troupes ayant été réformées, la sienne fut du nombre. En 1693, il partit du fort Saint-Louis pour le Canada ; se plaignit de n’avoir pas touché sa paie depuis sept ans ; reçut permission d’occuper le fort Saint-Louis avec M. de la Forêt ; tous deux étaient créanciers de La Salle. En 1696, on leur continua le même privilége à condition de ne pas faire la traite du castor. Delietto, parent de Tonty était au fort Saint-Louis. En 1700 Tonty dressa une carte du Mississipi, des Illinois au golfe du Mexique. La même année, il reçut ordre de faire repartir pour le Canada une centaine de Canadiens établis aux Illinois, mais la plupart et Tonty tout le premier étaient déjà passés à la Louisiane. Il arriva aux Bayagoulas le 16 janvier (1700), visita avec d’Iberville, la rivière de la Sablonnière et devint bientôt très utile à la colonie naissante.