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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pas à pas, au fur et à mesure des besoins de la traite. Cette alternative de sacrifier les découvertes à l’intérêt du trafic avait été prévue et signalée par Charlevoix ; selon toute probabilité, c’était en bonne partie la cause de l’espèce de crainte que le gouvernement éprouvait chaque fois qu’on lui demandait des subsides pour aider les découvreurs. Par un prodige de logique dont les ministres de ce temps ont gardé le secret, on en était arrivé à n’accorder aux entrepreneurs de découvertes que le privilège de la traite, c’est-à-dire précisément la chose qui pouvait le mieux, dans l’opinion de tout le monde, détourner les travaux de l’objet principal ! C’est sur ce pied qu’on avait autorisé La Vérendrye à s’équiper. Nous verrons ce qui en résulta.

La deuxième année (1732) un nouveau fort fut élevé à l’ouest du lac des Bois ou Minitie ; on l’appela Saint-Charles, du nom de baptême de M. de Beauharnois. Cette seconde étape éloignait l’expédition de cent trente lieues du lac Supérieur et la rapprochait de soixante et dix du lac Winnipeg. Le lac des Bois renferme des îles couvertes de forêts ainsi que ses rives, ce qui lui a valu son nom. C’est un bassin irrégulier, qui mesure vingt-cinq lieues en tous sens et dans lequel s’égoutte une contrée très étendue. On y arrive du côté est, par une suite de lacs et de rivières ; ces dernières sont remplies de chutes et de rapides. On en sort à l’ouest par la rivière Winnipeg (qui tombe dans le lac Winnipeg) très tortueuse, longue de cinquante-cinq lieues et qui ne compte pas moins de trente rapides et cataractes, la plupart impraticables ; il faut recourir à l’expédient de « portager » en ces endroits. Cette dernière région est désignée sur la carte de 1737 comme la Barrière.

En 1733, La Vérendrye parvint à placer son avant-garde à la décharge de la Winnipeg, dans un fort qu’il éleva du côté du lac, un peu au nord de l’embouchure de la rivière, au débouché d’un petit cours d’eau. Le fort et la rivière reçurent le nom de M. de Maurepas, le ministre qui négligeait tant les découvreurs et qui ne paraît pas avoir été sensible à cette marque d’attention.

La carte de Delisle (1739) donne au lac Winnipeg le nom de Tacamantour. Celle de Jeffreys (1762) nomme la rivière Winnipeg : « Onefsipi or Maurepas. » Parvenu au lac Winnipeg en moins de trois années, La Vérendrye se trouvait avoir accompli plus que ce que l’on n’attendait de lui. Il avait enfin pris pied sur la rive orientale de ce fameux lac dont les récits des Sauvages avaient fait la clef de voûte de la découverte de tout l’ouest. Mais, plus la tête de l’expédition s’avançait, plus le corps s’étirait le long de la route, et, finalement, au lieu d’avoir sous ses ordres un noyau d’hommes capables de le seconder partout et en toutes circonstances, le commandant était obligé de multiplier ses soins pour entretenir la ligne de communication d’un poste à l’autre, diriger la traite, pourvoir à l’approvisionnement des magasins et des hommes. Il est probable que sans l’aide de ses fils, qui, vers ce temps, commencèrent à aller le rejoindre, il ne fût jamais venu à bout de son entreprise. Ce fait ajoute aux mérites du père en ce qu’il montre de quelle courageuse famille il était le chef. Nous savons par M. Margry que quatre des enfants de La Vérendrye le secondèrent ainsi noblement. L’aîné ne pouvait guère être âgé de plus de vingt ans en 1733. Peut-être était-il